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LES MALADIES
DE
LA VOLONTÉ
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LIBRAIRIE GERMER BAILLIÊRE ET C".
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
La psychologie anglaise contemporaine. In-8, 3° édi-
tion. 7 fr. 50
La psychologie allemande contemporaine. In-8. 7 fr. 50
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rigée par Th. Ribot, paraissant tous les mois depuis le 1 er jan-
vier 1876; chaque année?forme 2 vol. grand in-8, 30 fr. — Abon-
nements, un an : Paris, 30 fr.; Départements et étranger, 33 fr.
Coulommiers. — Typog. Paul BROOARD et C»«
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LES MALADIES
DE
LA VOLONTÉ
PAR
TH. RIBOT
Directeur de la Revue philosophique
PARIS
LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET G"
108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108
Au coin de la rue Hautefeuille
1883
Tous droits réservés.
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y Google
LES MALADIES
DE LA VOLONTÉ
INTRODUCTION
Durant ces dernières années, plusieurs au-
teurs, surtout à l'étranger, ont exposé en détail
certaines parties de la psychologie d'après le
principe de l'évolution. Il m'a semblé qu'il y
aurait quelque profit à traiter ces questions dans
le même esprit; mais sous une autre forme —
celle de la dissolution.
Je me propose donc dans ce travail d'essayer
pour la volonté ce que j'ai fait précédemment
pour la mémoire, d'en étudier les anomalies et
de tirer de cette étude des conclusions sur l'état
normal. A beaucoup d'égards, la question est
moins facile : le terme volonté désigne une
chose plus vague que le terme mémoire. Que
l'on considère la mémoire comme une fonc-
RlBOT. — Volonté. {
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2 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
tion, une propriété ou une faculté, elle n'en
reste pas moins une manière d'être stable, une
disposition psychique sur laquelle tout le monde
peut s'entendre. La volonté, au contraire, se
résouten voirions dont chacune est un moment,
une forme instable de l'activité, une résultante
variant au gré des causes qui la produisent.
Outre cette première difficulté, il y en a une
autre qui peut paraître encore plus grande, mais
dont nous n'hésiterons pas à nous débarrasser
sommairement. Peut-on étudier la pathologie
de la volonté, sans toucher à l'inextricable pro-
blème du libre arbitre ? — Cette abstention nous
paraît possible et même nécessaire. Elle s'im-
pose non par timidité, mais par méthode.
Gomme toute autre science expérimentale, la
psychologie doit rigoureusement sïnterdire
toute recherche relative aux causes premières.
Le problème du libre arbitre est de cet ordre.
L'un des grands services de la critique de Kant
et de ceux qui l'ont continuée a été de montrer
que le problème de la liberté se réduit à savoir
si l'on peut sortir de la chaîne des effets et des
causes pour poser un commencement absolu.
Ce pouvoir, « qui appelle, suspend ou bannit, »
comme le définit un contemporain qui l'a pro-
fondément étudié *, ne peut être affirmé qu'à la
condition d'entrer dans la métaphysique.
1. Renonvier, Essai de critique générale, 2* édition. I, 395-406.
y Google
INTRODUCTION
Ici, nous n'avons rien de pareil à tenter.
L'expérience interne et externe est notre seul
objet; ses limites sont nos limites. Nous pre-
nons les volitions à titre de faits, avec leurs
causes immédiates, c'est-à-dire les motifs qui
les produisent, sans rechercher si ces causes
supposeut des causes à l'infini ou s'il y a quelque
spontanéité qui s'y ajoute. La question se trouve
ainsi posée sous une forme également accep-
table pour les déterministes et leurs adversaires,
conciiiable avec l'une et l'autre hypothèse. Nous
espérons d'ailleurs conduire nos recherches de
telle manière que l'absence de toute solution sur
ce point ne sera pas même une seule fois re-
marquée.
J'essayerai de montrer au terme de cette étude
que, dans tout acte volontaire, il y a deux élé-
ments bien distincts : l'état de conscience, le
«Je veux, » qui constate une situation, mais qui
n'a par lui-môme aucune efficacité; et un méca-
nisme psychophysiologique très complexe, en
qui seul réside le pouvoir d'agir ou d'empêcher.
Comme cette conclusion générale ne peut être
que le résultat de conclusions partielles fournies
par la pathologie, j'écarterai provisoirement
dans cette introduction toute vue systémati-
que; je me bornerai à étudier la volonté dans
son double mécanisme d'impulsion et d'arrêt, et
dans sa source, — le caractère individuel, —
y Google
4 LES MALADIES DE LA VOLONTE
négligeant tous les détails qui n'importent pas
à notre sujet *.
I
Le principe fondamental qui domine la psy-
chologie de la volonté! sous sa forme impulsive,
à l'état sain comme à l'état morbide, c'est que
tout état de conscience a toujours une tendance
à s'exprimer, à se traduire par un mouvement,
par un acte. Ce principe n'est qu'un cas parti-
culier, propre à la psychologie, de cette loi fon-
damentale : que le réflexe est le type unique de
toute action nerveuse, de toute vie de relation.
A proprement parler, l'activité dans l'animai
n'est pas un commencement mais une fin, une
cause mais un résultat, un début mais une suite.
C'est là le point le plus essentiel qu'il ne faut
jamais perdre de vue et qui seul explique la
physiologie et la pathologie de la volonté, parce
que cette tendance de l'état de conscience à se
dépenser en un acte psychologique ou physio-
logique, conscient ou inconscient, est le fait
1. On trouvera dans le livre récent de Schneider : Der mens-
chliche Wille vont Stanpunkte der neueren Entwickelungstheorien,
Berlin, 1882, une bonne monographie de la volonté, à l'état
normal et du point de vue de révolution. Nous regrettons de
n'en avoir eu connaissance que quand ce travail était à peu
près achevé.
y Google
INTRODUCTION 5
simple auquel se réduisent les combinaisons et
complications de l'activité volontaire la plus
haute.
Le nouveau-né n'est, comme Ta défini Vir-
chow, « qu'un être spinal. » Son activité est
purement réflexe; elle se manifeste par une
telle profusion de mouvements que le travail
de l'éducation consistera pendant longtemps à
en supprimer ou à en restreindre le plus grand
nombre. Cette diffusion des réflexes, qui a sa
raison dans des relations anatomiques, traduit
dans toute sa simplicité la transformation des
excitations en mouvements. Qu'ils soient con-
scients ou qu'ils éveillent un rudiment de con-
science, en aucun cas ils ne représentent une
activité volontaire; ils n'expriment proprement
que l'activité de l'espèce, ce qui a été acquis,
organisé et fixé par l'hérédité; mais ce sont les
matériaux avec lesquels la volonté sera con-
struite.
Le désir marque une étape ascendante de
l'état réflexe à l'état volontaire. Nous enten-
dons par désir les formes les plus élémentaires
de la vie affective, les seules qui puissent se
produire, tant que l'intelligence n'est pas née.
Physiologiquement , ils ne diffèrent pas des
réflexes d'ordre complexe. Psychologiquement,
ils en diffèrent par l'état de conscience, souvent
très intense, qui les accompagne. Leur ten-
y Google
6 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
dance à se traduire en actes est immédiate et
irrésistible, comme celle des réflexes. A l'état
naturel et tant qu'il est encore pur de tout
alliage, le désir tend à se satisfaire immédiate-
ment; c'est là sa loi, elle est inscrite dans l'or-
ganisme. Les petits enfants, les sauvages en
fournissent d'excellents exemples. Chez l'adulte,
le désir n'est plus à l'état naturel; l'éducation,
l'habitude, la réflexion le mutilent ou le refrè-
nent. Mais souvent il reprend ses droits, et
l'histoire nous montre que, chez les despotes
que leur opinion et celle des autres placent au-
dessus de toute loi, il les garde toujours.
La pathologie nous fera voir que cette forme
d'activité augmente quand la volonté faiblit,
persiste quand elle disparaît. Elle marque ce-
pendant un progrès sur la première période,
parce qu'elle dénote un commencement d'indi-
vidualité. Sur le fond commun de l'activité
spécifique, les désirs dessinent vaguement le
caractère individuel; ils reflètent la façon de
réagir d'un organisme particulier.
Dès qu'une somme suffisante d'expériences a
permis à l'intelligence de naître, il se produit
une nouvelle forme d'activité, pour laquelle
l'épithète d'idéo-motrice est la plus convenable,
les idées étant causes de mouvements. Elle a de
plus l'avantage de montrer sa parenté avec les
réflexes, dont elle n'est qu'un perfectionnement.
y Google
INTRODUCTION 7
Comment une idée peut-elle produire un
mouvement? C'est là une question qui embar-
rassait fort l'ancienne psychologie, mais qui de-
vient simple, quand on considère les faits dans
leur vraie nature. C'est une vérité maintenant
courante dans la physiologie cérébrale que la
base anatomique de tous nos états mentaux
comprend à la fois des éléments moteurs et des
éléments sensitifs. Je n'insisterai pas sur une
question qui a été traitée ailleurs en détail * et
qui entraînerait une digression. Rappelons sim-
plement que nos perceptions, en particulier les
importantes, celles de la vue et du toucher,
impliquent à titre d'éléments intégrants des
mouvements de l'œil ou des nombres ; et que
si, lorsque nous voyons réellement un objet, le
mouvement est un élément essentiel, il doit
jouer le même rèle, quand nous voyons l'objet
idéalement. Les images et les idées, même ab-
straites, supposent un substratum anatomique
dans lequel les mouvements sont représentés
en une mesure quelconque.
Il est vrai que, en serrant la question de plus
près, on pourrait dire qu'il faut distinguer deux
espèces d'éléments moteurs : ceux qui servent
à constituer un état de conscience, et ceux qui
servent à le dépenser; les uns intrinsèques, les
1. Revue philosophique, octobre 1879, p. 371 et suiv.
y Google
8 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
autres extrinsèques. L'idée d'une boule, par
exemple, est la résultante d'impressions de sur-
faces et d'ajustements musculaires particuliers;
mais ces derniers sont le résultat de la sensibi-
lité musculaire et, à ce titre, sont des sensations
de mouvement plutôt que des mouvements
proprement dits : ce sont des éléments consti-
tutifs de notre idée plutôt qu'une manière de la
traduire au dehors.
Toutefois, cette relation étroite, établie par
la physiologie entre l'idée et le mouvement,
nous laisse entrevoir comment l'une produit
l'autre. En réalité, une idée ne produit pas un
mouvement : ce serait une chose merveilleuse
que ce changement total et soudain de fonction.
Une idée, telle que les spiritualistes la définis-
sent, produisant subitement un jeu de muscles,
ne serait guère moins qu'un miracle. Ce n'est
pas l'état de conscience, comme tel, mais bien
l'état physiologique correspondant, qui se trans-
forme en un acte. Encore une fois, la relation
n est pas entre un événement psychique et un
mouvement, mais entre deux états de même
nature, entre deux états physiologiques, entre
deux groupes d'éléments nerveux, l'un sensitif,
l'autre moteur. Si l'on s'obstine à faire de la
conscience une cause, tout reste obscur; si on
la considère comme le simple accompagnement
d'un processus nerveux, qui lui seul est l'évé-
y Google
INTRODUCTION V
nement essentiel, tout devient clair, et les diffi-
cultés factices disparaissent.
Ceci admis, nous pouvons classer grossière-
ment les idées en trois groupes, suivant que leur
tendance à se transformer en acte est forte,
modérée, ou faible, et même, en un certain sens,
nulle.
1° Le premier groupe comprend les états
intellectuels, extrêmement intenses (les idées
fixes peuvent servir de type) . Ils passent à l'acte
avec une fatalité, une rapidité presque égales à
celles des réflexes. Ce sont les idées ce qui nous
touchent ». L'ancienne psychologie, affirmant
un fait d'expérience vulgaire, disait dans son
langage que l'intelligence n'agit sur la volonté
que par l'intermédiaire de la sensibilité. En lais-
sant de côté ces entités, cela signifie que l'état
nerveux qui correspond à une idée se traduit
d'autant mieux en mouvement, qu'il est accom-
pagné de ces autres états nerveux (quels qu'ils
soient) qui correspondent à des sentiments. Cette
traduction faite, on comprend pourquoi, dans
le cas actuel, nous sommes si près de la phase
précédente, pourquoi l'action nerveuse est plus
énergique, agit sur plus d'éléments.
La plupart des passions, dès qu'elles dépassent
le niveau du pur appétit, rentrent dans ce groupe
comme principes d'action. Toute la différence
n'est qu'en degré, suivant que, dans le com-
i.
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10 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
plexus ainsi formé, les éléments affectifs prédo-
minent ou inversement *.
2° Le deuxième groupe est le plus important
pour nous. Il représente l'activité raisonnable,
la volonté au sens courant du mot. La concep-
tion est suivie d'un acte après une délibération
courte ou longue. Si Ton y réfléchit, on trouvera
que la plupart de nos actions se ramène à ce
type, déduction faite des formes précitées et
des habitudes. Que je me lève pour prendre
l'air à ma fenêtre, ou que je m'engage pour
devenir un jour général, il n'y a qu'une diffé-
rence du moins au plus : une volition très com-
plexe et à longue portée, comme la dernière,
devant se résoudre en une série de volitions
simples successivement adaptées aux temps et
aux lieux. — Dans ce groupe, la tendance à l'acte
n'est ni instantanée ni violente. L'état affectif
concomitant est modéré. Beaucoup des motions
qui forment le train ordinaire de notre vie ont
1. L'indépendance relative de l'idée et du sentiment comme
cause» de mouvement est nettement établie par certains cas
pathologiques. Il arrive que l'idée d'un mouvement est à elle
seule incapable de le produire; mais, si l'émotion s'ajoute, il se
produit. Un homme atteint de paralysie ne peut par aucun
effort de volonté mouvoir son bras; tandis qu'on le verra
s'agiter violemment sous l'influence d'une émotion causée par
l'arrivée d*un ami. Dans les cas de ramollissement de la moelle
épinière entraînant la paralysie, une émotion, une question
adressée au malade peut causer des mouvements plus violents
dans les membres inférieurs sur lesquels sa volonté n'a pas
(faction.
y Google
INTRODUCTION 11
été à l'origine accompagnées d'un sentiment de
plaisir, de curiosité, etc. Maintenant le sentiment
primitif s'est affaibli, mais le lien entre l'idée et
l'acte s'est établi; quand elle naît, il suit.
3° Avec les idées abstraites, la tendance au
mouvement est à son minimum. Ces idées étant
des représentations de représentations, de purs
schémas, des extraits fixés par un signe, l'élé-
ment moteur s'appauvrit dans la même mesure
que l'élément représentatif. Si l'on considère
toutes les formes d'activité que nous venons
de passer en revue comme des complications
successives du réflexe simple, on peut dire que
les idées abstraites sont une ramification colla-
térale, faiblement rattachée au tronc principal
et qui s'est développée à sa manière. Leur ten-
dance motrice se réduit à cette parole inté-
rieure, si faible qu'elle soit, qui les accompagne,
ou au réveil de quelque autre état de con-
science. Car, de même qu'en physiologie la
période centrifuge d'un réflexe n'aboutit pas
toujours à un mouvement, mais aussi bien à la
sécrétion d'une glande ou à une action trophi-
que; de même, en psychologie, un état de con-
science n'aboutit pas toujours à un mouvement*
mais à la résurrection d'autres états de con-
science, suivant le mécanisme bien connu de
l'association.
L'opposition si souvent notée entre les esprits
y Google
12 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
spéculatifs, qui vivent dans les abstractions,
et les gens pratiques, n'est que l'expression
visible et palpable de ces différences psycholo-
giques que nous venons de signaler. Rappelons
encore, à titre d'éclaircissement, des vérités
banales : la différence entre connaître le bien
et le pratiquer, voir l'absurdité d'une croyance
et s'en défaire, condamner une passion et la
sacrifier. Tout cela s'explique par la tendance
motrice, extrêmement faible, de l'idée réduite
à elle-même. Nous ignorons les conditions ana-
tomiques et physiologiques nécessaires pour
la naissance d'une idée abstraite, mais nous
pouvons affirmer sans témérité que, dès qu'elle
devient un motif d'action, d'autres éléments s'y
ajoutent : ce qui arrive chez ceux ce qui se dé*
vouent à une idée ». Ce sont les sentiments
seuls qui mènent l'homme.
II
A s'en tenir à ce qui précède, l'activité volon-
taire nous apparaît comme un moment dans
cette évolution ascendante qui va du réflexe
simple, dont la tendance au mouvement est
irrésistible, à l'idée abstraite, où la tendance à
l'acte est à son minimum. On n'en peut fixer
rigoureusement ni le commencement ni la fin,
y Google
INTRODUCTION 13
la transition d'une forme à l'autre étant pres-
que insensible.
A dessein et pour des raisons de clarté, nous
n'avons pas examiné le problème dans sa com-
plexité. Nous avons même éliminé l'un des
éléments essentiels, caractéristiques, de la^vo-
lonté. Telle qu'on l'a considérée jusqu'ici, elle
pourrait être définie : un acte conscient, plus
ou moins délibéré, en vue d'une fin simple ou
complexe, proche ou lointaine. C'est ainsi que
paraissent l'entendre des auteurs contempo-
rains, tels que Maudsley et Lewes, lorsqu'ils
la définissent « l'excitation causée* par des
idées » [impulse by ideas) ou bien « la réac-
tion motrice des sentiments et des idées ».
Ainsi comprise, la volition serait simplement
un « laisser faire ». Mais elle est tout autre
chose. Elle est aussi une puissance dî! arrêt, ou,
pour parler la langue de la physiologie, un pou-
voir ft inhibition.
Pour la psychologie fondée sur la seule obser-
vation intérieure, cette distinction entre per-
mettre et empêcher a peu d'importance; mais
pour la psychologie, qui demande au méca-
nisme physiologique quelque éclaircissement
sur les opérations de l'esprit, — et qui tient
l'action réflexe pour le type de toute activité, —
elle est capitale.
La doctrine courante admet que la volonté est
yGoogk
14 LES MALABiES DE LA VOLONTÉ
un fiât auquel les muscles obéissent on ne sait
comment. Dans cette hypothèse, il importe peu
que le fiât commande un mouvement ou un
arrêt. Mais si Ton admet, avec tous les physio-
logistes contemporains, que le réflexe est le
type et la base de toute action, et si, par consé-
quent, il n'y a pas lieu de chercher pourquoi un
état de conscience se transforme en mouvement,
— puisque c'est la loi — il faut expliquer pour-
quoi il ne se transforme pas. Malheureusement,
la physiologie est pleine d'obscurités et d'indéci-
sions sur ce point.
Le cas le plus simple du phénomène d'arrêt
ou d'inhibition consiste dans la suspension
des mouvements du cœur par l'excitation du
pneumo-gastrique. On sait que le cœur (indé-
pendamment des ganglions intra-cardiaques)
est innervé par des filets venant du grand
sympathique, qui accélèrent ses battements, et
par des filets du nerf vague. La section de ce
dernier augmente les mouvements; l'excitation
du bout central au contraire les suspend plus
ou moins longtemps. Il est donc un nerf d'ar-
rêt, et l'inhibition est généralement considérée
comme le résultat d'une interférence. L'activité
réflexe des centres cardiaques est ralentie oo
suspendue par les excitations venant du bulbe.
En d'autres termes, l'action motrice du pneu-
mogastrique se dépense dans les centres car-
y Google
INTRODUCTION 15
diaques en activité et produit tin arrêt. Tout
ceci n'a pas une portée psychologique immé-
diate; mais voici qui nous touche plus.
C'est un fait bien connu que l'excitabilité ré-
flexe de la moelle augmente, quand elle est
soustraite à l'action du cerveau. L'état des ani-
maux décapités en fournit des preuves frap-
pantes. Sans recourir à ces cas extrêmes, on
sait que les réflexes sont bien plus intenses
pendant le sommeil qu'à l'état de veille. Pour
expliquer ce fait, quelques auteurs ont admis
dans le cerveau des centres d'arrêt. Setschenow
les plaçait dans les couches optiques et la région
des tubercules quadrijumeaux. Il s'appuyait sur
ce fait qu'en excitant, par des moyens chimi-
ques ou autres, les parties précitées, il pro-
duisait une dépression des réflexes. — Goltz
place ces centres d'arrêt dans le cerveau pro-
prement dit.
Ces hypothèses et d'autres analogues * ont été
fort critiquées, et beaucoup de physiologistes
admettent simplement que, à l'état normal, les
excitations se répartissent à la fois dans le cer-
veau par une voie ascendante et dans la moelle
par une voie transverse; que, au contraire, dans
1. Pour l'historique complet de la qu^tion, on peut consulter
Eckhard, Physiologie des Rùckenmarks dans la Physiologie de
Hermann, 2 e volume, 2° partie, p. 33 et suiv. On y trouvera les
expériences et interprétations de Setschenow, Goltz, Schiff,
Herzen, Cyon, etc., etc.
yGoogk
16 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
les cas où le cerveau ne peut jouer un rôle, les
excitations ne trouvant plus qu'une seule voie
ouverte, il en résulte une sorte d'accumulation
dont l'effet est une excitabilité réflexe exagérée.
Dans ces derniers temps, Ferrier 1 , se plaçant
à un point de vue dont l'importance psycholo-
gique est évidente, a admis dans les lobes fron-
taux l'existence de centres modérateurs qui se-
raient le facteur essentiel de l'attention.
Sans entrer dans plus de détails, on voit que,
pour expliquer le mécanisme de l'inhibition, il
n'y a aucune doctrine claire et universellement
acceptée comme pour les réflexes. Les uns ad-
mettent que l'arrêt vient de deux tendances
contraires qui s'entravent ou s'annihilent. D'au-
tres admettent des centres d'arrêt (et même
des nerfs d'arrêt) capables de supprimer une
action transmise, au lieu de la renforcer. Il y a
encore plusieurs hypothèses qu'il est inutile de
mentionner 2 . Dans cet état d'ignorance, exa-
minons la question de notre mieux.
Dans tout arrêt volontaire, il y a deux choses
à considérer ; le mécanisme qui le produit, —
nous venons d'en parler; l'état de conscience
qui l'accompagne, — nous allons en parler.
D'abord, il y a des cas où l'arrêt n'a pas
#
1. Ferrier, Les fonctions du cerveau, p. 103, 104.
2 Voir Wundt, Mechanik der Nerven; Lewes, Physical Basis of
Mind, p. 300-301.
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INTRODUCTION 47
besoin d'être expliqué, ceux où l'incitation vo-
lontaire cesse d'elle-même : quand nous jetons
de côté, par exemple, un livre décidément
ennuyeux.
D'autres cas paraissent s'expliquer, par l'une
des hypothèses précitées. Nous arrêtons volon-
tairement le rire, le bâillement, la toux, cer-
tains mouvements passionnés, en mettant en
action, à ce qu'il semble, les muscles antago-
nistes.
Pour les cas où l'on ignore comment l'arrêt
se produit, où le mécanisme physiologique
reste inconnu, la psychologie pure nous ap-
prend encore quelque chose. Prenons l'exemple
le plus banal : un accès de colère arrêté par la
volonté. Pour ne pas nous exagérer le pouvoir
volontaire, remarquons d'abord que cet arrêt
est loin d'être la règle. Certains individus en
paraissent tout à fait incapables. Les autres le
sont très inégalement; leur puissance d'arrêt
varie au gré du moment et des circonstances.
Bien peu sont toujours maîtres d'eux-mêmes.
Il faut, pour que l'arrêt se produise, une pre-
mière condition : le temps. Si l'incitation est si
violente qu'elle passe aussitôt à l'acte, tout est
fini; quelque sottise qui s'ensuive, il est trop
tard. Si la condition de temps est remplie, si
l'état de conscience suscite des états antago-
nistes, s'ils sont suffisamment stables, l'arrêt a
yGoogk
18 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
lieu. Le nouvel état de conscience tend à sup-
primer l'autre et, en affaiblissant la cause,
enraye les effets.
Il est d'une importance capitale pour la pa-
thologie de la volonté de rechercher le phéno-
mène physiologique qui se produit en pareil
cas. On ne peut douter que la quantité de
lmflux nerveux (quelque opinion qu'on ait sur
sa nature) varie d'un individu à l'autre, et d'un
moment à l'autre chez le même individu. On ne
peut douter non plus qu'à un moment donné,
chez un individu quelconque, la quantité dispo-
nible peut être distribuée d'une manière va-
riable. Il est clair que, chez le mathématicien qui
spécule et chez l'homme qui satisfait une passion
physique, la quantité d'influx nerveux ne se dé-
pense pas de la même manière et qu'une forme
de dépense empêche l'autre, le capital disponible
ne pouvant être employé à la fois à deux fins.
« Nous voyons, dit un physiologiste *, que
l'excitabilité de certains centres nerveux est
atténuée par la mise en activité de certains
autres, si les excitations qui atteignent ces der-
niers ont une certaine intensité : tel est le fait.
Si nous considérons le fonctionnement normal
du système nerveux, nous constatons qu'il
existe un équilibre nécessaire entre les diffé-
1. Franck, Dict. encych des sciences médicales, art. Nerveui,
p. 572.
y Google
INTRODUCTION 19
rents appareils de ce système. Nous savons que
cet équilibre peut être rompu par la prédomi-
nance anormale de certains centres, lesquels
semblent détourner à leur profit une trop
grande part de l'activité nerveuse : dès lors, le
fonctionnement des autres centres nous appa-
raît troublé H y a des lois générales qui
président à la répartition de l'activité nerveuse
dans les différents points du système, comme
il y a des lois mécaniques qui gouvernent la
circulation du sang dans le système vasculaire :
si une grande perturbation survient dans un
département vasculaire important, l'effet ne
peut manquer d'être ressenti dans tous les au-
tres points du système. Ces lois d'hydrodyna-
mique, nous les saisissons, parce que le fluide
en circulation nous est accessible et que nous
connaissons les propriétés des vaisseaux qui les
contiennent, les effets de l'élasticité, ceux de la
contraction musculaire, etc. Mais les lois de la
répartition de l'activité nerveuse, de cette sorte
de circulation de ce qu'on a nommé le fluide
nerveux, qui les connaît ? On constate les effets
des ruptures d'équilibre de l'activité nerveuse;
mais ce sont là des troubles essentiellement
variables, qui se dérobent encore à toute tenta-
tive de théorie. Nous ne pouvons qu'en noter la
production en tenant compte des conditions qui
les accompagnent. »
yGoogk
20 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
Si nous appliquons ces considérations géné-
rales à notre cas particulier, que voyons-nous ?
L'état de conscience primitif (colère) a évoqué
des états antagonistes qui varient nécessaire-
ment d'un homme à un autre : idée du devoir,
crainte de Dieu, de l'opinion, des lois, des con-
séquences funestes, etc. Il s'est produit par là
un deuxième centre d'action, c'est-à-dire, en
termes physiologiques, une dérivation de l'af-
flux nerveux, un appauvrissement du premier
état au profit du second. Cette dérivation est-
elle suffisante pour rétablir l'équilibre? L'évé-
nement seul donne la réponse.
Mais, quand l'arrêt se produit, il n'est jamais
que relatif, et son seul résultat est d'aboutir à
une moindre action. Ce qui reste de l'impulsion
primitive se dépense comme il peut, par des
gestes à demi contenus, des troubles dans les
viscères ou par quelque dérivation artificielle,
comme ce soldat qui, pendant qu'on le fusillait,
mâchait une balle pour ne pas crier. Très peu
sont assez bien doués par la nature et façonnés
par l'habitude pour réduire les réflexes à des
mouvements imperceptibles.
Cette dérivation de l'influx nerveux n'est
donc pas un fait primitif, mais un état de for-
mation secondaire, constitué aux dépens du
premier par le moyen d'une association.
Remarquons encore que, outre la naissance
y Google
INTRODUCTION 21
de ces deux centres d'action antagonistes, il y a
d'autres causes qui tendent à affaiblir directe-
ment les impulsions primitives.
Mais nous devons examiner ici la difficulté de
plus près, car la coexistence de ces deux états de
conscience contraires *, suffisante pour produire
l'indécision, l'incertitude, le non-agir, ne Test
pas pour produire un arrêt volontaire, au sens
réel du mot, un « je ne veux pas ». Il faut une
condition de plus. Elle se rencontre dans un élé-
ment affectif de la plus haute importance, dont
nous n'avons rien dit. Les sentiments ne sont
pas tous des stimulants à l'action. Beaucoup ont
un caractère dépressif. La terreur peut en être
considéré comme le type extrême. A son plus
haut degré, elle anéantit. Un homme brusque-
ment frappé d'une grande douleur est incapable
de toute réaction volontaire ou réflexe. L'anémie
cérébrale, l'arrêt du cœur amenant quelquefois
la mort par syncope, la sueur avec refroidisse-
ment de la peau, le relâchement des sphincters :
tout indique que l'excitabilité des centres mus-
culaires, vaso-moteurs, sécrétoires, etc., est mo-
mentanément suspendue. Ce cas est extrême,
mais il nous donne un grossissement. Au-
dessous, nous avons tous les degrés possibles
1 . 11 est bien entendu que nous ne les séparons pas de leurs
conditions physiologiques, qui sont l'élément principal.
yGoogk
22 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
de crainte avec tous les degrés correspondants
de la dépression.
Descendons de ce maximum à la crainte
modérée, l'effet dépressif diminue, mais sans
changer de nature. Or, comment arrête-t-on les
mouvements de colère chez l'enfant? Par les
menaces, les réprimandes; c'est-à-dire par la
production d'un nouvel état de conscience à
caractère déprimant, propre à paralyser l'ac-
tion. « Une enfant de trois ans et demi, dit
M. B. Perez, comprend à l'air du visage, au ton
de voix, qu'on la réprimande : alors son front
se plisse, ses lèvres se crispent convulsivement,
font un instant la moue, ses yeux s'humectent
de larmes, elle est près de sangloter *• » L'état
nouveau tend donc à supplanter l'autre non
seulement par sa propre force, mais par l'affai-
blissement qu'il inflige à l'être tout entier.
Si, malgré des menaces répétées, l'arrêt ne
se produit pas, l'individu est peu ou point
éducable sous ce rapport. S'il se produit, il en
résulte, en vertu d'une loi bien connue, qu'une
association tend à s'établir entre les deux états;
le premier éveille le second, — son correctif,
— et, par l'habitude, l'arrêt devient de plus en
plus facile et rapide. Chez ceux qui sont maîtres
d'eux-mêmes, l'arrêt se produit avec cette sû-
1 . La psychologie de Fenfant, p. 33.
y Google
INTRODUCTION 23
reté qui est la marque de toute habitude par-
faite. Il est clair, d'ailleurs, que le tempérament
et le caractère importent ici encore plus que
l'éducation.
Il n'est donc pas surprenant qu'une tempête
cède devant de froides idées, devant des états
de conscience dont la tendance motrice est
assez faible : c'est qu'il y a, par derrière eux une
force accumulée, latente, inconsciente, comme
nous venons de le voir.
Pour comprendre cet apparent miracle, il ne
faut pas considérer l'adulte éduqué, réfléchi,
mais l'enfant. Chez celui-ci (le sauvage, l'homme
mal dégrossi ou inéducable s'en rapprochent),
la tendance à l'acte est immédiate. L'œuvre de
l'éducation consiste justement à susciter ces
états antagonistes : et il faut entendre par édu-
cation aussi bien celle que l'enfant doit à sa
propre expérience que celle qu'il reçoit d'autrui.
Je crois d'ailleurs inutile de montrer que tous
les sentiments qui produisent un arrêt : crainte
ou respect des personnes, des lois, des usages,
de Dieu, ont été à l'origine et restait toujours
des états dépressifs, qui tendent à diminuer l'ac-
tion.
En somme, le phénomène d'arrêt peut s'ex-
pliquer, d'une manière suffisante pour notre
dessein, par une analyse des conditions psycho-
logiques où il se produit, quelque opinion qu'on
yGoogk
24 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
ait sur le mécanisme physiologique. Sans doute,
il serait désirable d'y voir plus clair, d'avoir une
idée plus nette du modus operandi, par lequel
deux excitations presque simultanées se neu-
tralisent. Si cette question obscure était vidée,
notre conception de la volonté comme puissance
d'arrêt deviendrait plus précise, peut-être autre.
Il faut se résigner à attendre; nous retrouve-
rons d'ailleurs sous d'autres formes ce difficile
problème.
III
Nous avons considéré jusqu'ici l'activité volon-
taire sous une forme exclusivement analytique,
qui ne peut en donner une idée exacte, la mon-
trer dans sa totalité. Elle n'est ni une simple
transformation d'états de conscience quelcon-
ques en mouvement, ni un simple pouvoir d'ar-
rêt : elle est la réaction propre d'un individu. Il
nous faut insister sur ce point, sans lequel la
pathologie est incompréhensible.
Les mouvements volontaires ont pour pre-
mier caractère d'être adaptés ; mais c'est une
marque qui leur est commune avec l'immense
majorité des mouvements physiologiques : la
différence n'est qu'en degrés.
En laissant de côté les mouvements d'ordre pa-
y Google
INTRODUCTION 25
thologique (convulsions, chorée, épilepsie, etc.)
qui se produisent sous la forme d'une décharge
violente et désordonnée, l'adaptation se retrouve
du plus bas au plus haut.
Les réflexes ordinaires sont des réactions de la
moelle épinière, adaptées à des conditions très
générales et par conséquent très simples, uni-
formes, invariables d'un individu à l'autre (sauf
des cas exceptionnels). Ils ont un caractère spé-
cifique.
Un autre groupe des réflexes représente les
réactions de la base et de la partie moyenne de
l'encéphale, — bulbe, corps striés, couches
optiques. — Ces réactions sont aussi adaptées à
des conditions générales peu variables, mais
d'un ordre beaucoup plus complexe : c'est l'ac-
tivité « sensori-motrice » de certains auteurs.
Elles ont encore un caractère bien plus spéci-
fique qu'individuel, tant elles se ressemblent
d'un individu à l'autre, dans la même espèce.
Les réflexes cérébraux, surtout les plus éle-
vés, consistent en une réaction adaptée à des
conditions très complexes, très variables, très
instables, différant d'un individu à l'autre, et
d'un instant à l'autre dans le même individu.
Ce sont les réactions idéo-motrices, les voli-
tions. Si parfaite qu'elle soit, cette adaptation
n'est cependant pas pour nous ce qui importe.
Elle n'est qu'un effet, dont la cause n'est pas la
Ri BOT. — Volonté. 2
yGoogk
/
/
26 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
volition, mais l'activité intellectuelle. L'intelli-
gence étant une correspondance, un ajustement
continuel de relations internes à des relations
externes, et sous sa forme la plus haute, un
ajustement parfaitement coordonné; la coor-
dination de ces états de conscience implique
celle des mouvements qui les expriment. Dès
qu'un but est choisi, il agit à la manière de ce
que les métaphysiciens appellent une cause
finale : il entraîne le choix des moyens propres
à l'atteindre. L'adaptation est donc un résultat
du mécanisme de l'intelligence; nous n'avons
pas à nous y arrêter.
Mais ce qui nous intéresse, c'est ce choix,
cette préférence affirmée, après une comparai-
son plus ou moins longue des motifs. C'est lui
qui représente la réaction individuelle, distincte
des réactions spécifiques, et, nous le verrons,
dans la pathologie, tantôt inférieure, tantôt su-
périeure à elles.
Qu'est-ce que ce choix? Considéré dans sa
forme, il n'est rien de plus qu'une affirmation
pratique, un jugement qui s'exécute. Qu'on le
remarque bien : du côté physiologique et exté-
rieur, rien ne distingue un mouvement volontaire
d'un mouvement involontaire, le mécanisme
est le même, que je cligne des yeux par action
réflexe ou à dessein pour avertir un complice * .
1. On distingue en physiologie les muscles volontaires des
y Google
INTRODUCTION 27
Du côté psychologique et intérieur, rien ne dis-
tingue le jugement au sens logique du mot r
c'est-à-dire une affirmation théorique, de la
volition; sinon que celle-ci se traduit par un
acte et qu'elle est ainsi un jugement mis à
exécution.
Mais qu'est-il, considéré dans son fond et
non plus dans sa forme? Insistons sur ce point
fondamental, et essayons de l'éclaircir. En des-
cendant à quelques faits biologiques très hum-
bles, nous verrons mieux peut-être en quoi con-
siste un choix. Pour ne pas m 'égarer dans de
lointaines analogies, je ne dirai rien de l'affinité
physique (par exemple de l'aimant pour le fer) .
Dans le règne végétal, je rappellerai seulement
que les plantes insectivores, comme la dionée,
choisissent, à l'exclusion des autres, certains
corps qui viennent à leur contact. L'amibe
choisit de même certains fragments organiques
dont elle se nourrit. Ces faits sont incontesta-
bles : l'interprétation est difficile. On les ex-
plique, en général, par un rapport de compo-
sition moléculaire entre ce qui choisit et ce qui
est choisi. Sans doute ici le choix s'exerce dans
muscles involontaires, mais en faisant remarquer que cette dis-
tinction n'a rien d'absolu. 11 y a des personnes, comme le physio-
logiste E.-F. Weber, qui peuvent à volonté arrêter les mouve-
ments de leur cœur; d'autres, comme Fontana, produire une
contraction de l'iris, etc. Un mouvement est volontaire, lorsque,
à la suite d'es3ais heureux et répétés, il est lié à un état de
conscience et sous son commandement.
yGoogk
28 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
un champ très restreint ; mais aussi n'en est-ce
que la forme la plus grossière, presque phy-
sique. La naissance et le développement d'un
système nerveux de plus en plus complexe trans-
forment cette affinité aveugle en une tendance
consciente, puis en plusieurs tendances contra-
dictoires dont Tune l'emporte, — celle qui re-
présente le maximum d'affinité (le chien qui
hésite entre plusieurs mets et finit par en choisir
un). Mais partout le choix exprime la nature de
l'individu, à un moment donné, dans des cir-
constances données et à un degré donné; c'est-
à-dire que plus l'affinité est faible, moins la
préférence est marquée. Nous pouvons donc
dire que le choix, qu'il résulte d'une tendance,
de plusieurs tendances, d'une sensation pré-
sente, d'images rappelées, d'idées complexes,
de calculs compliqués et projetés dans l'avenir,
est toujours fondé sur une affinité, une analogie
de nature, une adaptation. Cela est vrai chez
l'animal inférieur ou supérieur et chez l'homme,
pour le vice ou la vertu, la science ou le plaisir
ou l'ambition. Pour nous en tenir à l'homme,
deux ou plusieurs états de conscience surgissent
à titre de buts possibles d'action : après des
oscillations, l'un est préféré, choisi. Pourquoi,
sinon parce que, entre cet état et la somme des
états conscients, subconscients et inconscients
(purement physiologiques) qui constituent en ce
y Google
INTRODUCTION 29
moment la personne, le moi, il y a convenance,
analogie de nature, affinité? C'est la seule ex-
plication possible du choix, à moins d'admettre
qu'il est sans cause. On me propose de tuer un
ami : cette tendance est repoussée avec hor-
reur, exclue ; c'est-à-dire qu'elle est en contradic-
tion avec mes autres tendances et sentiments,
qu'il n'y a aucune association possible entre
elle et eux et que par là même elle est anni-
hilée.
Chez le criminel, au contraire, entre la re-
présentation de l'assassinat et les sentiments de
haine ou de cupidité, un lien de convenance,
c'est-à-dire d'analogie, s'établit; il est par suite
choisi, affirmé comme devant être. Considérée
comme état de conscience, la volition n'est
donc rien de plus qu'une affirmation (ou
une négation). Elle est analogue au jugement,
avec cette différence que l'un exprime un rap-
port de convenance (ou de disconvenance) entre
des idées, l'autre les mêmes rapports entre des
tendances; que l'un est un repos pour l'esprit,
l'autre une étape vers l'action; que l'un est une
acquisition, l'autre une aliénation; car l'intelli-
gence est une épargne et la volonté une dé-
pense. Mais la volition, par elle-même, à titre
d'état de conscience, n'a pas plus d'efficacité
pour produire un acte que le jugement pour
produire la vérité. L'efficacité vient d'ailleurs.
2.
y Google
30 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
Nous reviendrons dans la conclusion sur ce point
très important 1 .
La raison dernière du choix est donc dans le
caractère, c'est-à-dire dans ce qui constitue la
marque propre de l'individu au sens psycholo-
gique et le différencie de tous les autres indi-
vidus de son espèce.
Le caractère ou — pour employer un terme
plus général — la personne, le moi, qui est
pour nous une cause, est-il à son tour un effet?
A n'en pas douter; mais nous n'avons pas à
nous occuper ici des causes qui le produisent.
La science du caractère, que Stuart Mill récla-
mait, il y a plus de quarante ans, sous le nom
d'éthologie, n'est pas faite, ni, à ce qu'il me
semble, près de l'être. Le fût-elle, nous n'au-
rions qu'à en accepter les résultats, sans tenter
une excursion sur son domaine; car remonter
toujours d'effets en causes, par une progression
sans fin, ce serait suivre les errements de la mé-
i. Nous venons d'exprimer sous une autre forme ce fait évi-
dent que le choix va toujours dans le sens du plus grand
plaisir. Tout animal, dénué ou doué de raison, sain ou malade,,
ne peut vouloir que ce qui lui paraît, au moment actuel, son
plus grand bien ou son moindre mal. L'homme même qui pré-
fère la mort au déshonneur ou à l'apostasie choisit le parti le
moins désagréable. Le caractère individuel et le développement
dé la raison font que le choix tantôt monte très haut, tantôt
tombe très bas; mais toujours il tend vers ce qui agrée le plus.
Le contraire est impossible. C'est là une vérité psychologique si
claire que les anciens l'avaient déjà posée en axiome, et il a
fallu des volumes de métaphysique pour l'obscurcir.
y Google
INTRODUCTION 31
taphysique. Encore une fois, pour le sujet qui
nous occupe, le caractère est une donnée ul-
time, une vraie cause, bien que, pour un autre
ordre de recherches, elle soit un effet. Remar-
quons, en passant et à titre de simple sugges-
tion, que le caractère — c'est-à-dire le moi en
qu'il tant réagit — est un produit extrêmement
complexe que l'hérédité, les circonstances phy-
siologiques antérieures à la naissance et posté-
rieures à la naissance, l'éducation, l'expérience,
ont contribué à former. On peut affirmer aussi
sans témérité que ce qui le constitue, ce sont
bien plutôt des états affectifs, une manière pro-
pre de sentir, qu'une activité intellectuelle. C'est
cette manière générale de sentir, ce ton per-
manent de l'organisme qui est le premier et
véritable moteur. S'il fait défaut, l'homme ne
peut plus vouloir : la pathologie nous le fera
voir. C'est parce que cet état fondamental est,
suivant la constitution des individus, stable ou
labile, continu ou variable, énergique ou faible,
qu'il y a trois types principaux de volonté —
ferme, faible, intermittente — avec tous les
degrés et nuances que ces types comportent;
mais, nous le répétons encore, ces différences
proviennent du caractère de l'individu, qui dé-
pend de sa constitution propre : il n'y a rien
à chercher au delà.
Nous sommes donc complètement d'accord
yGoogk
32 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
avec ceux qui nient que la prédominance d'un
motif explique à elle seule la volition. Le motif
prépondérant n'est qu'une portion de la cause
et toujours la plus faible, quoique la plus visi-
ble; et il n'a d'efficacité qu'autant qu'il est
choisi, c'est-à-dire qu'il entre à titre de partie
intégrante dans la somme des états qui consti-
tuent le moi, à un moment donné, et que sa
tendance à Tac te s'ajoute à ce groupe de ten-
dances qui viennent du caractère, pour ne faire
qu'un avec elles.
Il n'est donc en rien nécessaire de faire du
moi une entité ou de le placer dans une région
transcendante, pour lui reconnaître une cau-
salité propre. C'est un fait d'expérience très
simple, très net; le contraire ne se comprend
pas.
Physiologiquement, cela signifie que l'acte
volontaire diffère et du réflexe simple où une
seule impression est suivie d'un ensemble de
contractions, et des formes plus complexes où
une seule impression est suivie d'un ensemble
de contractions; qu'il est le résultat de l'orga-
nisation nerveuse tout entière, qui reflète elle-
même la nature de l'organisme tout entier et
réagit en conséquence.
Psychologiquement, cela signifie que l'acte
volontaire, sous sa forme complète, n'est pas
la simple transformation d'un état de conscience
y Google
INTRODUCTION 33
en mouvement, mais qu'il suppose la participa-
tion de tout ce groupe d'états conscients, on
subconscients, qui constituent le moi à un mo-
ment donné.
Nous sommes donc fondés à définir la volonté
une réaction individuelle et à la tenir pour ce
qu'il y a en nous de plus intime. Le moi, quoi-
que un effet, est une cause. Il Test au sens le
plus rigoureux, de façon à satisfaire toutes les
exigences.
En résumé, nous avons vu que, du réflexe le
plus bas à la volonté la plus haute, la transition
est insensible, et qu'il est impossible de dire
exactement le moment où commence la volition
propre, c'est-à-dire la réaction personnelle. D'un
extrême à l'autre de la série, la différence se
réduit à deux points : d'un côté, une extrême
simplicité; de l'autre, une extrême complexité;
— d'un côté, une réaction toujours la même
chez tous les individus d'une même espèce; de
l'autre, une réaction qui varie selon l'individu,
c'est-à-dire d'après un organisme particulier
limité dans le temps et l'espace. Simplicité et
permanence, complexité et changement vont
de pair.
Il est clair qu'au point de vue de l'évolution
toutes les réactions ont été à l'origine indivi-
duelles. Elles sont devenues organiques, spéci-
fiques, par des répétions sans nombre dans l'in-
y Google
/
34 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
dividu et la race. L'origine de la volonté est
dans cette propriété qu'a la matière vivante de
réagir, sa fin est dans cette propriété qu'a la
matière vivante de s'habituer, et c'est cette ac-
tivité involontaire, fixée à jamais, qui sert de
support et d'instrument à l'activité individuelle „
Mais, chez les animaux supérieurs, le legs
héréditaire, les hasards de naissance, l'adapta-
tion continuelle à des conditions variant à chaque
instant, ne permettent pas à la réaction indivi-
duelle de se fixer ni de prendre une même
forme chez tous les individus. La complexité
de leur milieu est une sauvegarde contre l'au-
tomatisme.
Nous terminons ici ces préliminaires, en rap-
pelant que leur seul but était de préparer à la
pathologie, que nous allons maintenant aborder.
yGoogk
CHAPITRE PREMIER
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ
I. — Le défaut d'Impulsion.
Nous venons de voir que ce terme volonté
désigne des actes assez différents quant aux con-
ditions de leur genèse, mais qui ont tous ce
caractère commun d'être, sous une forme et à
un degré quelconque, une réaction de l'individu.
Sans revenir sur cette analyse, notons, pour
des raisons de clarté et de précision, deux carac-
tères extérieurs auxquels la volition véritable
se reconnaît : elle est un état définitif; elle se
traduit par un acte.
L'irrésolution, qui est un commencement X
d'état morbide, a des causes intérieures que la
pathologie nous fera comprendre : elle vient de
la faiblesse des incitations ou de leur action
éphémère. Parmi les caractères irrésolus, quel-
ques-uns — c'est le très petit nombre — le sont
y Google
36 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
par richesse d'idées. La comparaison des motifs,
les raisonnements, le calcul des conséquences,
constituent un état cérébral extrêmement com-
plexe où les tendances à l'acte s'entravent. Mais
cette richesse d'idées n'est pas à elle seule une
cause suffisante de l'irrésolution; elle n'est
qu'une cause adjuvante. La vraie cause, ici
comme partout, est dans le caractère.
Chez les irrésolus, pauvres d'idées, cela se
voit mieux. S'ils agissent, c'est toujours dans le
sens de la moindre action ou de la plus faible
résistance. La délibération aboutit difficilement
à un choix, le choix plus difficilement à un acte.
La volition, au contraire, est un état défi-
nitif : elle clôt le débat. Par elle, un nouvel état
de conscience — le motif choisi — entre dans
le moi à titre de partie intégrante, à l'exclusion
des autres états. Le moi est ainsi constitué d'une
manière fixe. Chez les natures changeantes, ce
définitif est toujours provisoire, c'est-à-dire que
le moi voulant est un composé si instable que
le plus insignifiant état de conscience, en sur-
gissant, le modifie, le fait autre. Le composé
formé à chaque instant n'a aucune force de résis-
tance à l'instant qui suit.
Dans cette somme d'états conscients et in-
conscients qui, à chaque instant, représentent
les causes de la volition, la part du caractère
individuel est un minimum, la part des cir-
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 37
constances extérieures un maximum. Nous
retombons dans cette forme inférieure de la
volonté étudiée plus haut qui consiste en un
« laisser faire ».
Il ne faut jamais oublier non plus que vou-
loir c'est agir, que la volition est un passage à
Pacte. Réduire, comme on Ta fait quelquefois,
la volonté à la simple résolution, c'est-à-dire à
l'affirmation théorique qu'une chose sera faite,
c'est s'en tenir à une abstraction. Le choix n'est
qu'un moment dans le processus volontaire.
S'il ne se traduit pas en acte, immédiatement
ou en temps utile, il n'y a plus rien qui le dis-
tingue d'un opération logique de l'esprit. Il res-
semble à ces lois écrites qu'on n'applique pas.
Ces remarques faites, entrons dans la patho-
logie. Nous diviserons les maladies de la volonté
en deux grandes classes, suivant qu'elle est
affaiblie ou abolie.
Les affaiblissements de la volonté constituent
la partie la plus importante de sa pathologie; ils
montrent le mécanisme faussé. Nous les divise-
rons en deux groupes :
1° Les affaiblissements par défaut d'impul-
sion;
2° Les affaiblissements par excès d'impulsion.
3° En raison de leur importance, nous exami-
nerons à part les affaiblisements de l'attention
volontaire.
RlBOT. — Volonté. 3
Digitized by VjOOQIC
38 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
4° Enfin, sous ce titre « Le règne des capri-
ces », nous étudierons un état particulier où la
volonté ne parvient jamais à se constituer ou
ne le fait que par accident.
I
Le premier groupe contient des faits d'un
caractère simple, net et dont. l'examen est ins-
tructif. A l'état normal, on en trouve une ébau-
che dans les caractères mous qui ont besoin,
pour agir, qu'une autre volonté s'ajoute à la
leur; maisla maladie va nous montrer cet état
sous un prodigieux grossissement.
Guislain a décrit en termes généraux cet affai-
blissement que les médecins désignent sous le
nom d'aboulie, ce Les malades savent vouloir
intérieurement, mentalement, selon les exigen-
ces de la raison. Ils peuvent éprouver le désir
de faire; mais ils sont impuissants à faire con-
venablement. Il y a au fond de leur entendement
une impossibilité. Ils voudraient travailler et ils
ne peuvent Leur volonté ne peut franchir
certaines limites : on dirait que cette force
d'action subit un arrêt : le je veux ne se trans-
forme pas en volonté impulsive, en détermina-
tion active. Des malades s'étonnent eux-mêmes
de l'impuissance dont est frappée leur volonté...
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 39
Lorsqu'on les abandonne à eux-mêmes, ils pas-
sent des journées entières dans leur lit ou sur
une chaise. Quand on leur parle et qu'on les
excite, ils s'expriment convenablement, quoique
d'une manière brève : ils jugent assez bien des
choses l . »
Gomme les malades chez qui l'intelligence
est intacte sont les plus intéressants, nous ne
citerons que des cas de ce genre. L'une des plus
anciennes observations et la plus connue est
due à Esquirol :
ce Un magistrat, très distingué par son savoir
et la puissance de sa parole, fut, à la suite de
chagrins, atteint d'un accès de monomanie
Il a recouvré l'entier usage de sa raison ; mais
il ne veut pas rentrer dans le monde, quoiqu'il
reconnaisse qu'il a tort ; ni soigner ses affaires,
quoiqu'il sache bien qu'elles souffrent de ce
travers. Sa conversation est aussi raisonnable
que spirituelle. Lui parle-t-on de voyager, de
soigner ses affaires : je sais, répond-il, que je
le devrais et que je ne peux le faire. Vos conseils
sont très bons, je voudrais suivre vos avis, je
suis convaincu, mais faites que je puisse vou-
loir, de ce vouloir qui détermine et exécute.
— Il est certain, me disait-il un jour, que je
1. Guislain, Leçons orales sur les phrénopathies, tome I, p. 479,
p. 46 et p. 256. Voir aussi Griesinger, Traité des maladies men-
tales, p. 46; Leubuscher, Zeitschrift fur Psychiatrie, 1847.
y Google
40 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
n'ai de volonté que pour ne pas vouloir ; car
j'ai toute ma raison; je sais ce que je dois faire;
mais la force m'abandonne lorsque je devrais
agir '. »
Le médecin anglais Bennett rapporte le cas
d'un homme « qui fréquemment ne pouvait
pas exécuter ce qu'il souhaitait. Souvent, il
essayait de se déshabiller et restait deux heures
avant de pouvoir tirer son habit, toutes ses fa-
cultés mentales, sauf la volition, étant parfaites.
Un jour, il demanda un verre d'eau; on le lui
présente sur un plateau, mais il ne pouvait le
prendre, quoiqu'il le désirât ; et il laissa le do-
mestique debout devant lui pendant une demi-
heure, avant de pouvoir surmonter cet état. « Il
lui semblait, disait-il, qu'une autre personne
avait pris possession de sa volonté 2 . »
Un auteur qu'il faut toujours citer pour les
faits de psychologie morbide, Th. de Quincey,
nous a décrit d'après sa propre expérience cette
paralysie de la volonté. L'observation est d'au-
tant plus précieuse qu'elle est due à un esprit
subtil et à un écrivain délicat.
Par l'abus prolongé de l'opium, il dut aban-
donner des études qu'il poursuivait autrefois
avec un grand intérêt. Il s'en éloignait avec un
sentiment d'impuissance et de faiblesse enfan-
i. Esquirol, I, 420.
2. Bennett, ap. Carpenter, Mental Physiology, p. 385.
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 41
tine, avec une angoisse d'autant plus vive qu'il
se rappelait le temps où il leur consacrait des
heures délicieuses. Un ouvrage inachevé, au-
quel il avait donné le meilleur de son intelli-
gence, ne lui paraissait plus qu'un tombeau
d'espérances éteintes, d'efforts frustrés, de ma-
tériaux inutiles, de fondations jetées pour un
édifice qui ne se construirait jamais. Dans ce cet
état de débilité volitionnelle, mais non intellec-
tuelle, » il s'appliqua à l'économie politique,
étude à laquelle il avait été autrefois éminem-
ment propre. Après avoir découvert beaucoup
d'erreurs dans les doctrines courantes, il trouva
dans le traité deRicardo une satisfaction pour sa
soif intellectuelle, et un plaisir, une activité qu'il
ne connaissait plus depuis longtemps. Pensant
que des vérités importantes avaient cependant
échappé à l'œil scrutateur de Ricardo, il conçut
le projet d'une Introduction à tout système
futur d'économie politique. Des arrange-
ments furent faits pour imprimer et publier
l'ouvrage, et il fut annoncé à deux fois. Mais il
avait à écrire une préface et une dédicace à
Ricardo, et il se trouva complètement incapable
de le faire ; aussi les arrangements furent contre-
mandés, et l'ouvrage resta sur sa table.
« Cet état de torpeur intellectuelle, je l'ai
éprouvé plus ou moins durant les quatre années
que j'ai passées sous l'influence des enchante-
y Google
42 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
ments circéens de l'opium. C'était une telle
misère qu'on pourrait dire en vérité que j'ai
vécu à l'état de sommeil. Rarement j'ai pu
prendre sur moi d'écrire une lettre : une ré-
ponse de quelques mots, c'est tout ce que je
pouvais * faire à l'extrême rigueur, et souvent
après que la lettre à répondre était restée sur
ma table des semaines et même des mois. Sans
l'aide de M..., aucune note des billets soldés
ou à solder n'eût été prise, et toute mon éco-
nomie domestique, quoiqu'il advînt de l'éco-
nomie politique, fût tombée dans une confusion
inexprimable. C'est là un point dont je ne par-
lerai plus et dont tout mangeur d'opium fera
finalement l'expérience : c'est l'oppression et le
tourment que causent ce sentiment d'incapacité
et de faiblesse, cette négligence et ces perpé-
tuels délais dans les devoirs de chaque jour, ces
remords amers, qui naissent de la réflexion. Le
mangeur d'opium ne perd ni son sens moral ni
ses aspirations : il souhaite et désire, aussi vive-
ment que jamais, exécuter ce qu'il croit pos-
sible, ce qu'il sent que le devoir exige ; mais
son appréhension intellectuelle dépasse infini-
ment son pouvoir non seulement d'exécuter,
mais de tenter. Il est sous le poids d'un incube
et d'un cauchemar ; il voit tout ce qu'il souhai-
terait de faire, comme un homme cloué sur
son lit par la langueur mortelle d'une maladie
/
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LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 43
déprimante, qui serait forcé d'être témoin d'une
injure ou d'un outrage infligé à quelque objet
de sa tendresse : il maudit le sortilège qui l'en-
chaîne et lui interdit le mouvement; il se débar-
rasserait de sa vie s'il pouvait seulement se
lever et marcher; mais il est impuissant comme
un enfant et ne peut même essayer de se mettre
sur pied \ »
Je terminerai par une dernière observation,
— un peu longue, la plus longue que je con-
naisse, mais qui montrera la maladie sous tous
ses aspects. Elle est rapportée par Billod dans
les Annales médico-psychologiques.
Il s'agit d'un homme de soixante-cinq ans,
« d'une constitution forte, d'un tempérament
lymphatique, d'une intelligence développée sur-
tout pour les affaires, d'une sensibilité médio-
cre. » Très attaché à sa profession de notaire,
il ne se décida à vendre son étude qu'après de
longues hésitations. A la suite, il tomba dans
un état de mélancolie profonde, refusant les ali-
ments, se croyant ruiné et poussant le déses-
poir jusqu'à une tentative de suicide.
Je ne néglige, dans ce qui suit, que quelques
détails purement médicaux ou sans intérêt pour
nous, et je laisse parler l'observateur :
« La faculté qui nous a paru le plus notable -
i. Th. de Quincey, Confessions, etc., p. 186, 188.
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44 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
ment altérée, c'est la volonté Le malade
accuse une impossibilité fréquente de vouloir
exécuter certains actes, bien qu'il en ait le désir
et que son jugement sain, par une sage délibé-
ration, lui en fasse voir l'opportunité, souvent
même la nécessité »
Le malade était renfermé à la maison d'Ivry ;
il fut décidé qu'il entreprendrait avec M. Billod
le voyage d'Italie.
« Lorsqu'on lui annonça son prochain dé-
part : « Je ne pourrai jamais, dit-il ; cependant •
« cela m'ennuie. » La veille, il déclare de nou-
veau « qu'il ne pourra jamais ». Le jour même,
il se leva à six heures du matin pour aller faire
cette déclaration à M. M... On s'attendait donc
à une certaine résistance ; mais, lorsque je me
présentai, il ne fit pas la moindre opposition ;
seulement, comme s'il sentait sa volonté prête à
lui échapper : ce Où est le fiacre, dit-il, que je
« me dépêche d'y monter. »
« 11 serait oiseux d'emmener avec nous le
lecteur et de le faire assister à tous les phéno-
mènes offerts par le malade pendant ce voyage.
Ces phénomènes peuvent très bien se résumer
en trois ou quatre principaux que je donnerai
comme critérium de tous les autres
« Le premier s'est présenté à Marseille. Le
malade devait avant de s'embarquer faire une
procuration pour autoriser sa femme à vendre
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 45
une maison. Il la rédige lui-rhême, la transcrit
sur papier timbré et s'apprête à la signer,
lorsque surgit un obstacle sur lequel nous
étions loin de compter. Après avoir écrit son
nom, il lui est de toute impossibilité de para-
pher. C'est en vain que le malade lutte contre
cette difficulté. Cent fois au moins, il fait exé-
cuter à sa main, au-dessus de la feuille de pa-
pier, les mouvements nécessaires à cette exé-
cution, ce qui prouve bien que l'obstacle n'est
pas dans la main; cent fois la volonté rétive ne
peut ordonner à ses doigts d'appliquer la plume
sur le papier. M. P sue sang et eau; il se
lève avec impatience, frappe la terre du pied,
puis se rassied et fait de nouvelles tentatives :
la plume ne peut toujours pas s'appliquer sur le
papier. Niera-t-on ici que M. P... ait le vif désir
d'achever sa signature et qu'il comprenne l'im-
portance de cet acte? Niera-t-on l'intégrité de
l'organe chargé d'exécuter le paraphe? L'agent
paraît aussi sain que l'instrument ; mais le pre-
mier ne peut s'appliquer sur le second. La
volonté fait évidemment défaut. Cette lutte a
duré trois quarts d'heure ; cette succession d'ef-
forts a enfin ^bouti à un résultat dont je déses-
pérais : le paraphe fut très imparfait, mais il fut
exécuté. J'ai été témoin de cette lutte ; j'y pre-
nais le plus vif intérêt, et je déclare qu'il était
impossible de constater plus manifestement
3.
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46 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
une impossibilité de vouloir, malgré le désir '.
« Je constatai quelques jours après une im-
possibilité du même genre. Il s'agissait de sortir
un peu après le dîner. M. P... en avait le plus
vif désir; il eût voulu, me dit-il^ avoir une idée
de la physionomie de la ville. Pendant cinq
jours de suite, il prenait son chapeau, se tenait
debout et se disposait à sortir; mais, vain es-
poir, sa volonté ne pouvait ordonner à ses jam-
bes de se mettre en marche pour le transporter
dans la rue. « Je suis évidemment mon propre
« prisonnier, disait le malade ; ce n'est pas vous
« qui m'empêchez de sortir, ce ne sont pas mes
« jambes qui s'y opposent : qu'est-ce donc
« alors? » M. P... se plaignait ainsi de ne pou-
voir vouloir, malgré l'envie qu'il en avait. Après
cinq jours enfin, faisant un dernier effort, il par-
vient à sortir et rentre cinq minutes après,
suant et haletant, comme s'il eût franchi en
courant plusieurs kilomètres et fort étonné lui-
même de ce qu'il venait de faire.
ce Les exemples de cette impossibilité se re-
produisaient à chaque instant. Le malade avait-
il le désir d'aller au spectacle, il ne pouvait
vouloir y aller; était-il à table à côjé de convives
aimables, il eût voulu prendre part à la conver-
sation, mais toujours la même impuissance le
1. Je transcris littéralement cette observation, sans rien pré-
juger sur la doctrine psychologique de Fauteur.
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 47
poursuivait. 11 est vrai que souvent cette im-
puissance n'existait pour ainsi dire qu'en ap-
préhension; le malade craignait de ne pas
pouvoir, et cependant il y parvenait, même
plus souvent qu'il ne l'appréhendait ; mais sou-
vent aussi, il faut le dire, ses appréhensions
étaient légitimes. »
Après six jours passés à Marseille, le malade
et le médecin s'embarquèrent pour Naples;
« mais ce ne fut pas sans une peine inouïe. »
Pendant ces six jours, « le malade exprima for-
mellement le refus de s'embarquer et le désir
de retourner à Paris, s'effrayant d'avance à
l'idée de se trouver avec sa volonté malade dans
un pays étranger, déclarant qu'il faudrait le
garrotter pour le conduire. Le jour du départ, il
ne se décida à sortir de l'hôtel que quand il me
crut décidé à faire intervenir un appareil de
force ; étant sorti de l'hôtel, il s'arrêta dans la
rue, où il fût resté sans doute, sans l'interven-
tion de quatre mariniers, qui n'eurent d'ailleurs
qu'à se montrer... »
« Une autre circonstance tend encore à faire
ressortir davantage la lésion de la volonté. Nous
arrivâmes à Rome le jour même de l'élection
de Pie IX. Mon malade me dit : « Voilà une cir-
« constance que j'appellerais heureuse, si je
« n'étais pas malade. Je voudrais pouvoir as-
« sister au couronnement; mais je ne sais si je
y Google
48 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
« pourrai : j'essayerai. » Le jour venu, le ma-
lade se lève à cinq heures, tire son habit noir,
se rase, etc., etc., et me dit : « Vous voyez, je
fais beaucoup, je ne sais encore si je pourrai. »
Enfin, à l'heure de la cérémonie, il fit un grand
effort et parvint à grand'peine à descendre.
Mais dix jours après, à la fête de saint Pierre,
les mêmes préparatifs, les mêmes efforts n'abou-
tirent à aucun résultat. ce Vous voyez bien, dit
« le malade, je suis toujours mon prisonnier,
ce Ce n'est pas le désir qui me manque, puisque
ce je me prépare depuis trois heures; me voici
ce habillé, rasé et ganté, et voilà que je ne peux
« plus sortir d'ici. » En effet, il lui fut impossible
de venir à la cérémonie. J'avais beaucoup in-
sisté, mais je n'ai pas cru devoir le forcer.
« Je terminerai cette observation déjà bien
longue par une remarque : c'est que les mouve-
ments instinctifs, de la nature de ceux qui échap-
pent à la volonté proprement dite, n'étaient pas
entravés chez notre malade comme ceux qu'on
peut appeler ordonnés. C'est ainsi qu'en arri-
vant à Lyon, au retour, notre malle-poste passa
par-dessus une femme que les chevaux avaient
renversée. Mon malade recouvra toute son
énergie et, sans attendre que la voiture fût
arrêtée, rejeta son manteau, ouvrit la portière
et se trouva le premier descendu près de cette
femme. »
yGoogk
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 49
L'auteur ajoute que le voyage n'eut pas l'effi-
cacité qu'il supposait; que le malade se trouvait
mieux cependant en voiture, surtout quand elle
était dure et la route mauvaise, qu'enfin le
malade rentra dans sa famille, à peu près dans
le même état '.
Les cas précités représentent un groupe bien
tranché. Il en ressort quelques faits très nets et
quelques inductions très probables.
Voyons d'abord les faits :
1° Le système musculaire et les organes du
mouvement sont intacts. De ce côté, nul empê-
chement. L'activité automatique, celle qui cons-
titue la routine ordinaire de la vie, persiste.
2° L'intelligence est parfaite ; rien, du moins,
n'autorise à dire qu'elle ait subi le moindre
affaiblissement. Le but est nettement conçu,
les moyens de même, mais le passage à l'acte
est impossible.
Nous avons donc ici une maladie de la vo-
lonté, au sens le plus rigoureux. Remarquons
en passant que la maladie fait pour nous une
expérience curieuse. Elle crée des conditions
exceptionnelles, irréalisables par tout autre
moyen : elle scinde l'homme, annihile la réac-
tion individuelle, respecte le reste; elle nous
1. Billod, Annales médico-psychologiques, tome X, p. 472 et
suivantes. L'auteur cite plusieurs autres faits d'un caractère
beaucoup moins net, que nous ne rapporterons pas (V. p. 184
et 319 sq.).
yGoogk
LES MALADIES DE LA VOLONTE
produit, dans la mesure du possible, un être
réduit à l'intelligence pure.
D'où vient cette impuissance delà volonté?
Ici commencent les inductions. Il n'y a que
deux hypothèses possibles sur sa cause immé-
diate : elle consiste en un affaiblissement ou
bien des centres moteurs ou bien des incitations
qu'ils reçoivent.
La première hypothèse n'a, en sa faveur,
aucune raison valable 4 . Du moins, on en sait
trop peu sur ce point, même pour conjecturer.
Reste la seconde. L'expérience la justifie.
Esquirol nous a conservé la réponse remar-
quable que lui fit un malade après sa guérison.
ce Ce manque d'activité venait de ce que mes
sensations étaient trop faibles pour exercer une
influence sur ma volonté. » Le même auteur a
aussi noté le changement profond que ces ma-
lades éprouvent dans le sentiment général de la
vie. « Mon existence, lui écrit l'un d'eux, est
incomplète; les fonctions, les actes de la vie
ordinaire me sont restés; mais dans chacun
d'eux il manque quelque chose, à savoir la sert-
sation qui leur est propre et la joie qui leur
succède.... Chacun de mes sens, chaque partie
de moi-même est pour ainsi dire séparée de
1. Remarquons qu'il s'agit de l'état non des organes moteurs,
mais des centres, quelque opinion qu'on ait d'ailleurs sur leur
nature et leur localisation.
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 51
moi et ne peut plus me procurer aucune sensa-
tion. » Un psychologue exprimerait-il mieux à
quel point la vie affective est atteinte, dans ce
qu'elle a de plus général ? — Billod rapporte le
cas d'une jeune Italienne ce d'une éducation bril-
lante », qui devint folle par chagrin d'amour, gué-
rit,mais pour tomber dans une apathie profonde
pour toute chose. « Elle raisonne sainement sur
tous les sujets; mais elle n'a plus de volonté
propre, ni de force de vouloir, ni d'amour, ni
de conscience de ce qui lui arrive, de ce qu'elle
sent ou de ce qu'elle fait.... Elle assure qu'elle
se trouve dans l'état d'une personne qui n'est
ni morte ni vivante, qui vivrait dans un som-
meil continuel, à qui les objets apparaissent
comme enveloppés d'un nuage, à qui les per-
sonnes semblent se mouvoir comme des ombres
et les paroles venir d'un monde lointain \ »
Si, comme nous le verrons longuement plus
tard, l'acte volontaire est composé de deux élé-
ments bien distincts : un état de conscience
totalement impuissant à faire agir ou à em-
pêcher, et des états organiques qui seuls ont
ce pouvoir; il faut admettre que les deux évé-
nements, d'ordinaire simultanés parce qu'ils
sont les effets d'une même cause, sont ici
dissociés. L'impuissance à agir est un fait. L'in-
1. Billod, Annales médico-psychologiques, loc. cit., p. 184.
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52 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
tensité de l'état de conscience (qui, en tout
cas, est intermittente) est-elle un fait? Alors il
faudrait admettre que les conditions nécessaires
et suffisantes se rencontrent, mais pour cet
événement seul. Est-elle une illusion? J'incline
à le supposer. L'ardente envie d'agir que quel-
ques-uns de ces malades croient éprouver me
paraît une simple illusion de leur conscience.
L'intensité d'un désir est une chose toute rela-
tive. Dans cet état d'apathie générale, telle
impulsion qui leur paraît vive est en fait au-
dessous de l'intensité moyenne : d'où l'inac-
tion. En étudiant l'état de la volonté dans le
somnambulisme, nous verrons plus tard que
certains sujets sont persuadés qu'il ne tien-
drait qu'à eux d'agir, mais que l'expérience les
oblige finalement à avouer qu'ils ont tort et
que leur conscience les trompe complètement 1 .
Au contraire, quand une excitation est très vio-
lente, brusque, inattendue, c'est-à-dire qu'elle
réunit toutes les conditions d'intensité, le plus
souvent elle agit. Nous avons vu plus haut un
malade retrouver son énergie pour sauver une
femme écrasée 2 .
Chacun de nous peut d'ailleurs se représenter
cet état d'aboulie; car il n'est personne qui
1. Voir ci- après, chapitre V.
2. J'ai appris par M. Billod que ce malade recouvra son activité
à la suite des journées de juin 1848 et de l'émotion qu'elles lui
causèrent.
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 53
n'ait traversé des heures d'affaissement où
toutes les incitations, extérieures et intérieures,
sensations et idées, restent sans action, nous
laissent froids. C'est l'ébauche de 1' « aboulie ».
11 n'y a qu'une différence du plus au moins et
d'une situation passagère à un état chronique.
Si ces malades ne peuvent vouloir, c'est que
tous les projets qu'ils conçoivent n'éveillent en
eux que des désirs faibles, insuffisants pour les
pousser à l'action. Je m'exprime ainsi pour
me conformer à la langue courante; car ce
n'est pas la faiblesse des désirs, à titre de sim-
ples états psychiques, qui entraîne l'inaction.
C'est là raisonner sur des apparences. Comme
nous l'avons montré précédemment, tout état
du système nerveux, correspondant à une sen-
sation ou à une idée, se traduit d'autant mieux
en mouvement qu'il est accompagné de ces
autres états nerveux, quels qu'ils soient, qui cor-
respondent à des sentiments. C'est de la fai-
blesse de ces états que résulte l'aboulie, non de
la faiblesse des désirs, qui n'est qu'un signe.
La cause est donc une insensibilité relative,
un affaiblissement général de la sensibilité; ce
qui est atteint, c'est la vie affective, la possibi-
lité d'être ému. Cet état morbide lui-même,
d'où vient-il? C'est un problème d'un ordre sur-
tout physiologique. A n'en pas douter, il y a
chez ces malades une dépression notable des
y Google
54 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
actions vitales. Elle peut atteindre un degré tel
que toutes les facultés soient atteintes et que l'in-
dividu devienne une chose inerte. C'est l'état que
les médecins désignent sous les noms de mélan-
colie, lypémanie, stupeur, dont les symptômes
physiques sont le ralentissement de la circula-
tion, l'abaissement de la température du corps,
l'immobilité presque complète. Ces cas extrêmes
sortent de notre sujet; mais ils nous révèlent
les causes dernières des impuissances de la vo-
lonté. Toute dépression dans le tonus vital,
légère ou profonde, fugitive ou durable, a son
^ffet. La volonté ressemble si peu à une faculté
régnant en maîtresse qu'elle dépend à chaque
moment des causes les plus chétives et les plus
cachées : elle est à leur merci. Et cependant,
comme elle a sa source dans les actions biolo-
giques qui s'accomplissent dans l'intimité la
plus profonde de nos tissus, on voit combien il
est vrai de dire qu'elle est nous-mêmes.
II
Le deuxième groupe ressemble au premier
par les effets (affaiblissement de la volonté), par
les causes (influences dépressives). La seule dif-
férence, c'est que l'incitation à agir n'est pas
éteinte. Le premier groupe présente des causes
positives d'inaction, le deuxième groupe des
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 55
causes négatives. L'arrêt résulte d'un antago-
nisme.
Dans toutes les observations qui vont suivre,
l'affaiblissement volontaire vient d'un sentiment
de crainte, sans motif raisonnable, qui varie de
la simple anxiété à l'angoisse et à la terreur qui
stupéfie. L'intelligence paraît intacte dans cer-
tains cas, affaiblie dans d'autres. Aussi quel-
ques-uns de ces cas sont d'un caractère indécis,
et il est difficile de dire s'ils dénotent une ma-
ladie de la volonté seule *.
L'observation suivante fait la transition d'un
groupe à l'autre : à vrai dire, elle appartient
aux deux.
Un homme, à l'âge de trente ans, se trouve
mêlé à des émeutes qui lui causent une grande
frayeur. Depuis, quoiqu'il ait conservé sa par-
faite lucidité d'esprit, qu'il gère très bien sa
fortune et dirige un commerce important, ce il
ne peut rester seul ni dans une rue ni dans sa
chambre; il est toujours accompagné. Lorsqu'il
est hors de chez lui, il lui serait impossible de
rentrer seul à son domicile. S'il sort seul, ce
qui est très rare, il s'arrête bientôt au milieu de
la rue et y resterait indéfiniment sans aller ni
1. Il est bon de faire remarquer une fois pour toutes que,
n'étudiant ici que les désordres exclusivement propres à la
volonté, nous avons dû éliminer les cas où l'activité psychique
est atteinte dans sa totalité et ceux où les désordres de la
volonté ne sont que l'effet et la traduction du délire intellectuel.
y Google
56 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
en avant ni en arrière, si on ne le ramenait. Ii
paraît avoir une volonté, mais c'est celle des
gens qui l'entourent. Lorsqu'on veut vaincre
cette résistance du malade, il tombe en syn-
cope 1 . »
Plusieurs aliénistes ont décrit récemment
sous les noms de peur des espaces, peur des
places (Platzangst), agoraphobie, une anxiété
bizarre qui paralyse la volonté et contre laquelle
l'individu est impuissant à réagir ou n'y par-
vient que par des moyens détournés.
Une observation de Westphal peut servir de
type. Un voyageur robuste, parfaitement sain
d'esprit et ne présentant aucun trouble de la
motilité, se trouve saisi d'un sentiment d'an-
goisse à la vue d'une place ou d'un espace
quelque peu étendu. S'il doit traverser une des
grandes places de Berlin, il a le sentiment
que cette distance est de plusieurs milles
et que jamais il ne pourra atteindre l'autre
côté. Cette angoisse diminue ou disparaît s'il
tourne la place en suivant les maisons, s'il est
accompagné, ou même simplement s'il s'appuie
sur une canne.
Garpenter rapporte d'après Bennett 2 une « pa-
ralysie de la volonté » qui me paraît du même
ordre, ce Lorsque un certain homme se prome-*
1. Biilod, loc. cit., p. 191.
2. Loc. cit., p. 385,
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 57
nait dans la rue et qu'il arrivait à quelque point
d'interruption dans la rangée des maisons, il ne
pouvait plus avancer; sa volonté devenait sou-
dainement inactive. La rencontre d'une place
l'arrêtait infailliblement. Traverser une rue était
aussi chose fort difficile, et, lorsqu'il passait le
seuil d'une porte pour entrer ou sortir, il était
toujours arrêté pendant quelques minutes. »
D'autres, en pleine campagne, ne se sentent à
l'aise qu'en marchant le long des taillis ou à
l'abri des arbres. On pourrait multiplier les
exemples, mais sans profit, car le fait fonda-
mental reste le même *.
Les discussions médicales sur cette forme
morbide n'importent pas ici. Le fait psycholo-
gique se réduit à un sentiment de crainte,
comme il s'en rencontre tant d'autres, fet il est
indifférent que ce sentiment soit puéril et chi-
mérique quant à ses causes; nous n'avons à
constater que son effet, qui est d'entraver la
olition. Mais nous devons nous demander si
cette influence dépressive arrête seule l'impul-
sion volontaire, intacte par elle-même, ou si le
pouvoir de réaction individuelle, lui aussi, est
y ci
i. Pour plus de détails, voir : Westphal, Ârchiv fur Psychia-
trie, tome III (deux articles); Cordes, Ibid.; Legrand du Saulle,
Annales médico-ptychologiques, p. 405, 1876, avec discussion sur
ce sujet ; Ritti, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales,
art. Folie avec conscience; Maudsley, Pathologie de l'esprit, trad..
p. 339 et suiv.
y Google
58 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
affaibli. La deuxième hypothèse s'impose; car,
le sentiment de la peur n'étant pas insurmon-
table (ces malades le prouvent dans certains
cas), il faut bien admettre que la puissance de
réaction de l'individu est tombée au-dessous du
niveau commun; en sorte que l'arrêt résulte de
deux causes qui agissent dans le même sens.
On ignore malheureusement les conditions
physiologiques de cet affaiblissement. Beaucoup
de conjectures ont été faites. Cordes, atteint lui-
même de cette infirmité, la considère « comme
une paralysie fonctionnelle, symptomatique de
certaines modifications des foyers centraux mo-
teurs et capable de faire naître en nous des
impressions. Dans l'espèce, ce serait une im-
pression de peur qui donnerait naissance à la
paralysie passagère : effet presque nul si l'ima-
gination seule entre enjeu, mais porté au plus
haut degré par l'adjonction des circonstances
environnantes. » La cause primitive serait donc
« un épuisement parésique du système ner-
veux moteur, de cette portion du cerveau qui
préside non seulement a la locomotion, mais
aussi à la sensibilité musculaire. »
Cette explication, si elle était bien établie,
serait pour notre sujet d'une grande impor-
tance. Elle montrerait que l'impuissance de la
volonté dépend d'une impuissance des centres
moteurs, ce qui aurait l'avantage de donner à
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 5&
nos recherches une base physiologique assurée.
Mais il serait prématuré de tirer ici des conclu-
sions qui seront mieux placées à la fin de notre
travail.
Je ne parlerai pas longuement de l'état men-
tal appelé folie du doute ou manie de fouiller
(Grubelsucht). Il représente la forme pathologi-
que du caractère irrésolu, tout comme l'aboulie
est celle du caractère apathique. C'est un état
d'hésitation constante pour les motifs les plus
vains, avec impuissance d'arriver à un résultat
définitif.
L'hésitation existe d'abord dans l'ordre pu-
rement intellectuel. Ce sont des interrogations
sans fin que le malade s'adresse. J'emprunte
un exemple à Legrand du Saulle. « Une femme
fort intelligente ne peut sortir dans la rue sans
se demander : Va-t-il tomber d'une fenêtre
quelqu'un à mes pieds? Sera-ce un homme ou
une femme? Cette personne se blessera-t-elle
ou se tuera-t-elle? Si elle se blesse, sera-ce à la
tête ou aux jambes? Y aura-t-il du sang sur le
trottoir? Si elle se tue, comment le saurai-je?
Devrai-je appeler du secours, ou m'enfuir, ou
réciter une prière? M'accusera-t-on d'être la
cause de cet événement? Mon innocence sera-t-
elle reconnue? etc. » Ces interrogations conti-
nuent sans fin, et il existe un grand nombre de
y Google
60 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
cas analogues, consignés dans des études spé-
ciales 1 .
Si tout se bornait à cette « rumination psy-
chologique », comme s'exprime l'auteur cité,
nous n'aurions rien à en dire; mais cette per-
plexité morbide de l'intelligence se traduit dans
les actes. Le malade n'ose plus rien faire sans
des précautions sans fin. S'il écrit une lettre, il
la relit plusieurs fois, craignant d'avoir oublié
un mot ou d'avoir péché contre l'orthographe.
S'il ferme un meuble, il vérifie à plusieurs re-
prises le succès de son opération. De même
pour son appartement : vérification répétée de
la fermeture, de la présence de la clef dans sa
poche, de l'état de sa poche, etc.
Sous une forme plus grave, le malade, pour-
suivi d'une crainte puérile de la malpropreté
ou d'un contact malsain, n'ose plus toucher les
pièces de monnaie, les boutons de porte, etc. 2 ,
l'espagnolette des fenêtres, et vit dans des ap-
préhensions perpétuelles. Tel ce suisse de ca-
thédrale dont parle Morel qui, depuis vingt-cinq
ans tourmenté de craintes absurdes, n'ose tou-
cher à sa hallebarde, se raisonne, s'invective
1. Consulter en particulier : Legrand du Saulle, La folie du
doute avec délire du toucher ; 4875 ; Griesinger, Archiv fur Psy-
chiatrie, 1869; Berger, Ibid., 1876 ; Ritti, Dictionn. encyclop.,
loc. cit.
2. On trouvera sur ce point des faits curieux, et en grand
nombre, dans Legrand du Saulle, ouv. cité, et Baillarger, Annales
médico-psychologiques, 1866, p. 93.
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 61
et triomphe de lui-même, mais par un sacri-
fice qu'il appréhende de ne pouvoir faire le len-
demain *.
Cette maladie de la volonté résulte en partie
de la faiblesse du caractère, en partie de l'état
intellectuel. Il est bien naturel que ce flux
d'idées vaines se traduise par des actes vains,
non adaptés à la réalité; mais l'impuissance de
la réaction individuelle joue un grand rôle. Aussi
trouvons-nous un abaissement du ton vital. Ce
qui le prouve, ce sont les causes de cet état
morbide (névropathies héréditaires, maladies
débilitantes); ce sont les crises et la syncope
que l'effort pour agir peut amener; ce sont les
formes extrêmes de la maladie où ces malheu-
reux, dévorés par des hésitations sans trêve,
n'écrivent plus, n'écoutent plus, ne parlent
plus, « mais se parlent à eux-mêmes à demi-
voix, puis à voix basse, et quelques-uns finis-
sent par remuer simplement les lèvres, expri-
mant leurs idées par une sorte de mussitation. »
Pour terminer, notons les cas où l'affaiblis-
sement de la volonté confine à l'anéantisse-
ment. Lorsqu'un état de conscience permanent
et qui s'impose, est accompagné d'un sentiment
de terreur intense, il se produit un arrêt pres-
que absolu, et le malade paraît stupide, sans
1. Archives générales de médecine, 1866.
RiBOT. — Volonté.
yGoogk
62 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
l'être. Tel est ce cas rapporté par Esquirol d'un
jeune homme qui paraissait idiot, qu'il fallait
habiller, coucher, nourrir et qui, après sa gué-
rison, avoua qu'une voix intérieure lui disait ;
« Ne bouge pas ou tu es mort 1 . »
Guislain rapporte aussi un fait curieux, mais
où l'absence de documents psychologiques laisse
dans l'embarras et ne permettrait qu'une inter-
prétation équivoque, ce Une demoiselle, cour-
tisée par un jeune homme, fut atteinte d'une
aliénation mentale dont on ignorait la vraie
cause et dont le trait distinctif était une forte
opposition de caractère qui ne tarda pas à se
transformer en un mutisme morbide. Pendant
douze années, elle ne répondit que deux fois
aux questions : la première fois, soiis l'in-
fluence des paroles impératives de son père; la
seconde, à son entrée dans notre établissement.
Dans les deux cas, elle fut d'un laconisme
étrange, surprenant. »
Pendant deux mois, Guislain se livra à des
tentatives répétées pour amener la guérison.
<sc Mes efforts furent vains et mes exhortations
sans effet. Je persistai, et je ne tardai pas à
constater un changement dans les traits, une
expression plus intelligente des yeux; un peu
plus tard, mais de temps à autre, des phrases,
1. Esquirol, tome II, p. 287.
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 63
des explications nettes, catégoriques, interrom-
pues par de longs intervalles de silence; car la
malade montrait une répugnance extrême à
céder à mes instances On pouvait voir que
chaque fois son amour-propre était satisfait du
triomphe qu'elle obtenait sur elle-même. Dans
ses réponses, jamais on ne remarqua la moin-
dre idée délirante; son aliénation était exclu-
sivement une maladie de la volonté impulsive.
Souvent une espèce de honte semblait retenir
cette malade, que je commençais à considé-
rer comme décidément convalescente. Pendant
deux, trois jours, elle cessa de parler, puis,
grâce à de nouvelles sollicitations, la parole lui
revint, jusqu'à ce qu'enfin de son propre mou-
vement elle prit part aux conversations qui
s'engageaient autour d'elle Cette guérison
est une des plus étonnantes que j'aie vues dans
ma vie 1 . » L'auteur ajoute que le rétablisse-
ment fut complet et durable.
Cet état d'inertie morbide dont l'aboulie est
le type, où le « je veux » n'est jamais suivi d'ac-
tion, montre combien la volition à titre d'état
de conscien ce et le pouvoir efficace d'agir sont
deuxchoses distinctes. Sans insister sur ce point
pour Te moment, arrêtons-nous à ce fait de l'ef-
1. Guislain, Ouvrage cité, tome II, p. 227, 228.
yGoogk
64 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
fort, capital dans la psychologie de la volonté, et
qui fait défaut ici.
Le sentiment de l'effort musculaire a été
étudié par M. William James * d'une manière
si approfondie et si rigoureuse qu'il n'y a pas
lieu d'y revenir et qu'il suffit de rappeler briève-
ment ses conclusions. Ce physiologiste à montré
que le sentiment de l'énergie musculaire dé-
ployée dans un acte quelconque est « une sen-
sation afférente complexe, qui vient des muscles
contractés, des ligaments tendus, des articula-
tions comprimées, de la poitrine fixée, de la
glotte fermée, du sourcil froncé, des mâchoires
serrées, etc. » Il a discuté pied à pied, en s' ap-
puyant sur l'expérience, l'opinion qui en fait
une sensation eff évente 9 liée à la décharge mo-
trice, coïncidant avec le courant de sortie de
l'énergie nerveuse. Il a montré notamment,
après Ferrier et d'autres, comment dans les cas
de paralysie, si l'on conserve le sentiment de
l'effort, bien qu'on ne puisse à aucun degré re-
muer le membre paralysé, c'est parce que les
conditions de la conscience de l'effort conti-
nuent d'exister, le malade remuant le membre
ou l'organe du côté opposé.
Mais M. James distingue avec raison l'effort
musculaire de l'effort volitionnel, qui, lui, n'im-
i. The feeling of effort, in-4«, Boston, 1880.
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LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 65
plique dans beaucoup de cas aucun mouvement
immédiat ou rien qu'une énergie musculaire
extrêmement faible. Tel est, pour lui emprunter
un de ses exemples, le cas de l'homme qui,
après une longue hésitation, prend le parti de
mettre de l'arsenic dans le verre de sa femme
pour l'empoisonner. Tout le monde connaît
d'ailleurs par sa propre expérience cet état de
lutte où l'effort est tout intérieur. — Ici, nous
nous séparons à regret de l'auteur, qui place
cet effort dans une région à part, supra-sensible.
Pour nous, il ne nous paraît différer de l'autre
qu'en un point : ses conditions physiologiques
sont mal connues, et l'on ne peut hasarder que
des hypothèses.
Il y a deux types de cet effort 'volitionnel :
l'un qui consiste à arrêter les mouvements de
l'instinct, de la passion, de l'habitude, l'autre
à surmonter la mollesse, la torpeur, la timidité;
l'un est un effort à résultat négatif, l'autre un
effort à résultat positif; l'un produit un arrêt,
l'autre une impulsion. Ces deux types peuvent
eux-mêmes se ramener à une formule unique :
il y a effort quand la volition suit la ligne de la
plus grande résistance. Cet effort volitionnel n'a
jamais lieu quand l'impulsion (ou l'arrêt) et le
choix coïncident, quand nos tendances natu-
relles et le « je veux » vont dans le même sens;
en termes plus clairs, quand ce qui est immé-
4.
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66 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
diatement agréable à l'individu et ce qui est
choisi par lui ne font qu'un. Il a toujours lieu
quand deux groupes de tendances antagonistes
luttent pour se supplanter réciproquement. En
fait, tout le monde le sait, cette lutte a lieu entre
les tendances inférieures, dont l'adaptation est
bornée, et les tendances supérieures, dont l'adap-
tation est complexe. Les premières sont toujours
les plus fortes par nature; les secondes le sont
quelquefois par artifice. Les unes représentent
une puissance enregistrée dans l'organisme, les
autres une acquisition de fraîche date.
Comment donc celles-ci peuvent-elles triom-
pher parfois? C'est que le « je veux » est un
appoint en leur faveur. Non, bien entendu, à
titre de simple état de conscience, mais parce
que sous cette volition, qui est un effet, il y a
des causes connues, demi connues et inconnues,
que nous avons si souvent résumées d'un mot :
le caractère individuel. Toutes ces petites causes
agissantes, qui résument l'individu physique et
psychique, ne sont pas des abstractions. Ce sont
des processus physiologiques ou psychophysio-
logiques : ils supposent un travail dans les cen-
tres nerveux, quels qu'ils soient. Est-il témé-
raire de soutenir que le sentiment de l'effort
volitionnel est, lui aussi, un effet de ces pro-
cessus physiologiques? On ne peut nous objecter
que l'impuissance actuelle d'en déterminer le mé-
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 67
canisme. Ce point est d'autant plus obscur que
le mécanisme doit différer suivant qu'il s'agit
de produire une impulsion ou un arrêt : aussi
le sentiment de l'effort volitionnel n'est pas
identique dans les deux cas.
La lutte intérieure est accompagnée d'un sen-
timent de fatigue souvent intense. Quoiqu'on
n'en sache pas bien long sur la nature et les
causes de cet état, on admet en général que,
même dans l'effort musculaire, le siège de la
fatigue est dans les centres nerveux qui ordon-
nent la contraction, non dans les muscles; qu'il
y a un épuisement nerveux, non un épuisement
musculaire. Dans les contractions réflexes, il n'y
a pas de fatigue perçue. Chez les hystériques,
on voit des contractures persister presque indé-
finiment, sans que le patient éprouve le moindre
sentiment de lassitude; c'est donc l'effort volon-
taire qui fatigue et non le raccourcissement du
muscle *.
Sauf notre ignorance, nous n'avons donc
aucune raison d'attribuer à l'effort volitionnel
un caractère à part. Dans tous les cas où cet
effort doit se produire, les éléments nerveux
sont-ils capables de fournir un surcroît de tra-
vail pendant une période donnée? ou bien, par
1. Richet, Physiologie des nerfs et des muscles, p. 477-490. —
Delbœuf, Étude psychophysique, p. 92 et suiv. dans les Éléments
de psychophysique, t. I.
yGoogk
08 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
nature, par défaut d'éducation et d'exercice,
sont-ils vite épuisés et incapables de recouvrer
de nouvelles forces? Ont-ils, oui ou non, une
quantité suffisante de force disponible emmaga-
sinée en eux ? Le problème de l'action dans le
sens de la plus grande résistance est réduit là
à ses derniers termes. C'est ce travail caché,
presque inconnu, qui se traduit par le sentiment
de l'effort volitionnel. Le sentiment de l'effort
sous toutes ses formes est donc un état subjectif
qui correspond à certains événements accom-
plis dans les centres nerveux et d'autres parties
de l'organisme, mais qui leur ressemblent aussi
peu que les sensations de son et de lumière res-
semblent à leur cause objective. Pour être ca-
pable de grands efforts musculaires, il faut que
les centres nerveux adaptés soient en état de
produire un travail considérable et prolongé :
ce qui dépend de leur nature et de leur rapidité
à réparer les pertes. Pour produire un grand
effort moral ou intellectuel, il faut de même que
les centres nerveux adaptés (quels qu'ils soient,
et notre ignorance à cet égard est à peu près com-
plète) soient en état de produire un travail in-
tense et répété, au lieu de s'épuiser à bref délai
et sans retour. La possibilité de l'eff ort est
donc, en derni ère analyse, un don naturel.
Prenons, pour être moins vague, 1 exemple
vulgaire d'un homme vicieux. Si jamais dans
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 69
sa vie, de lui-même ou sous l'influence des
autres, il n'a éprouvé quelque velléité de con-
version (en supposant que ce cas se rencontre),
c'est que les éléments moraux avec les condi-
tions physiologiques correspondantes lui font
complètement défaut. Si dans une circonstance
quelconque l'idée de se corriger surgit en lui,
remarquons d'abord que cet événement est in-
volontaire; mais il suppose la préexistence et
la mise en activité de certains éléments psycho-
physiologiques. Ce but est-il choisi, affirmé
comme devant être, voulu; si la résolution ne
dure pas, c'est que l'individu est incapable d'ef-
fort, c'est qu'il n'y a pas dans son organisation
la possibilité du travail répété dont nous avons
parlé; si elle dure, c'est qu'elle est maintenue
à force d'effort, par ce travail intérieur qui
produit l'arrêt des états contraires. Tout or-
gane se développe par l'exercice; ici de même,
en sorte que la répétition devient plus facile.
/Mais si un premier élément n'est pas donné
{ par la nature et avec lui une énergie poten-
Itielle, rien n'aboutit. Le dogme théologique de
la grâce, à titre de don gratuit, nous paraît
donc fondé sur une psychologie bien plus exacte
que l'opinion contraire *, et l'on voit combien il
1. La doctrine de la grâce se rencontre déjà chez les Hindous,
notamment dans la Bhagavad-Gitd, XI, 53. Voir Barth, Les reli-
gions de l'Inde, p. 48 et 136.
yGoogk
70 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
est facile de lui faire subir une transformation
physiologique.
Pour en revenir aux cas morbides qui nous
occupent, il y aurait une impossibilité d'effort,
temporaire, accidentelle, mais qui s'étend à
l'organisation presque entière.
yGoogk
CHAPITRE II
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ
II. — L'excès d'impulsion.
I
Nous venons de voir des cas où l'adaptation
intellectuelle, c'est-à-dire la correspondance
entre l'être intelligent et le milieu, étant nor-
male, l'impulsion à agir est nulle, très faible,
ou du moins insuffisante. En termes physiolo-
giques, les actions cérébrales qui sont la base
de l'activité intellectuelle (conception d'un but
et des moyens, choix, etc.) restent intactes,
mais il leur manque ces états concomitants qui
sont les équivalents physiologiques des senti-
ments et dont l'absence entraîne le défaut d'ac-
tion.
Nous allons voir des cas contraires aux précé-
dents, à certains égards. L'adaptation intellec-
y Google
72 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
tuelle est très faible, du moins très instable ;
les motifs raisonnables sont sans force pour agir
ou empêcher ; les impulsions d'ordre inférieur
gagnent tout ce que les impulsions d'ordre su-
périeur perdent. La volonté, c'est-à-dire l'acti-
vité raisonnable, disparaît, et l'individu retombe
au règne des instincts. Il n'y a pas d'exemples
qui puissent mieux nous montrer que la vo-
' lonté, au sens exact, est le couronnement, le
dernier terme d'une évolution, le résultat d'un
grand nombre de tendances disciplinées suivant
un ordre hiérarchique ; qu'elle est l'espèce la
plus parfaite de ce genre qui s'appelle l'activité;
en sorte que l'étude qui va suivre pourrait s'in-
tituler : Comment s'appauvrit et se défait la
volonté.
Examinons les faits. Nous les diviserons en
deux groupes : 1° ceux qui, étant à peine con-
scients (si même ils le sont), dénotent une
absence plutôt qu'un affaiblissement de la vo-
lonté; 2° ceux qui sont accompagnés d'une
pleine conscience, mais où, après une lutte
plus ou moins longue, la volonté succombe ou
ne se sauve que par un secours étranger.
I. Dans le premier cas, « l'impulsion peut
être subite, inconsciente, suivie d'une exécu-
tion immédiate, sans même que l'entendement
ait eu le temps d'en prendre connaissance...
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 73
L'acte a alors tous les caractères d'un phéno-
mène purement réflexe qui se produit fatale-
ment, sans connivence aucune de la volonté;
c'est une vraie convulsion qui ne diffère de la
convulsion ordinaire que parce qu'elle consiste
en mouvements associés et combinés en vue
d'un résultat déterminé. Tel est le cas de cette
femme qui, assise sur le banc d'un jardin, dans
un état inusité de tristesse sans motif, se lève
tout à coup, se jette dans un fossé plein d'eau
comme pour se noyer, et qui, sauvée et revenue
à une lucidité parfaite, déclare, au bout de
quelques jours, qu'elle n'a aucune conscience
d'avoir voulu se suicider, ni aucun souvenir de
la tentative qu'elle a commise *. »
ce J'ai vu, dit Luys, un certain nombre de
malades ayant fait des tentatives réitérées de
suicide, en" présence de gens qui les guettaient
et qui n'en gardaient aucun souvenir dans
leur phase de lucidité... Et ce qui met en lu-
mière l'inconscience de l'esprit dans ces condi-
tions, c'est que les malades ne s'aperçoivent
pas de l'insuffisance des procédés qu'ils em-
ploient. Ainsi, une dame qui faisait des tenta-
tives de suicide toutes les fois qu'elle voyait un
couteau de table, ne s'est pas aperçue qu'un
jour où je l'épiais j'avais substitué à ce couteau
1. Foville, Nouveau dictionnaire de médecine, art. Folie, p. 342.
RlBOT, — Volonté.
yGoogk
là LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
un instrument inoffensif. Un autre malade tenta
de se pendre à l'aide de corde à moitié pourrie,
incapable de supporter une faible traction \ »
Chez les épileptiques, les impulsions de ce
genre sont si fréquentes qu'on en remplirait
des pages. Les hystériques en fourniraient aussi
d'innombrables exemples : elles ont une ten-
dance effrénée à la satisfaction immédiate de
leurs caprices ou de leurs besoins.
D'autres impulsions ont des effets moins gra-
ves, mais dénotent le même état psychique.
« Chez certains malades, la surexcitation des
forces motrices est telle, qu'ils marchent des
heures entières sans s'arrêter, sans regarder
autour d'eux, comme des appareils mécaniques
que l'on a montés. » — Une marquise d'un es-
prit très distingué, dit Billod, au milieu d'une
conversation « coupe une phrase, qu'elle re-
prend ensuite pour adresser à quelqu'un de la
société une épithète inconvenante ou obscène.
L'émission de cette parole est accompagnée de
rougeur, d'un air interdit et confus, et le mot
est dit d'un ton saccadé, comme une flèche qui
s'échappe. » Une ancienne hystérique, très
intelligente et très lucide, éprouve à certains
moments le besoin d'aller vociférer dans un
endroit solitaire ; elle exhale ses doléances, ses
L Maladies mentales, p. 373, 439, 440*
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LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ , 75
récriminations contre sa famille et son entou-
rage. Elle sait parfaitement qu'elle a tort de
divulguer tout haut certains secrets ; mais,
comme elle le répète, il faut qu'elle parle et
satisfasse ses rancunes *. »
Ce dernier cas nous achemine aux impul-
sions irrésistibles avec conscience. Pour nous
en tenir aux autres, que nous pourrions multi-
plier à profusion, ils nous montrent l'individu
réduit au plus bas degré de l'activité, celui des
purs réflexes. Les actes sont inconscients (non
délibérés au moins), immédiats, irrésistibles,
d'une adaptation peu complexe et invariable.
Au point de vue de la physiologie et de la
psychologie, l'être humain, dans ces conditions,
est comparable à un animal décapité ou tout au
moins privé de ses lobes cérébraux. On admet
généralement que le cerveau peut dominer les
réflexes pour la raison suivante : l'excitation,
partant d'un point du corps, se divise à son
arrivée dans la moelle et suit deux voies ; elle
est transmise au centre réflexe par voie trans-
versale; au cerveau par voie longitudinale et
ascendante. La voie transversale, offrant plus
de résistance, la transmission en ce sens exige
une assez longue durée (expérience de Rosen-
thal) ; la transmission en longueur est au con-
4. Luys, loc. cit., 167 et 212. Billod, loc. cit., 193 et suiv.
y Google
76 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
traire beaucoup plus "rapide. L'action suspen-
sive du cerveau a donc le temps de se produire
et de modérer les réflexes. Dans les cas précités,
î le cerveau étant sans action, l'activité en reste
I à son degré inférieur, et, faute de ses condi-
tions nécessaires et suffisantes, la volition ne se
produit pas.
IL Les faits du second groupe méritent d'être
plus longuement étudiés : ils mettent en lu-
mière la défaite de la volonté ou les moyens
artificiels qui la maintiennent. Ici, le malade a
pleine conscience de sa situation ; il sent qu'il
n'est plus maître de lui-même, qu'il est do-
miné par une force intérieure, invinciblement
poussé à commettre des actes qu'il réprouve.
L'intelligence reste suffisamment saine, le dé-
lire n'existe que dans les actes.
On trouvera dans un livre de Marc, aujour-
d'hui un peu oublié *, un ample recueil des
faits où les écrivains postérieurs ont souvent
puisé. Citons-en quelques-uns.
Une dame, prise parfois d'impulsions homi-
cides, demandait à être maintenue à l'aide
d'une camisole de force et annonçait ensuite le
moment où tout danger était passé et où elle
pouvait reprendre la liberté de ses mouve-
1. De la folie considérée dans ses rapports avec les questions
médico-judiciaires, 2 vol. in-8°. Paris, 1840.
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 77
ments. — Un chimiste, tourmenté de même
par des désirs homicides, se faisait attacher les
deux pouces avec un ruban et trouvait dans ce
simple obstacle le moyen de résister à la tenta-
tion. — Une domestique d'une conduite irré-
prochable supplie sa maîtresse de la laisser
partir, parce que, en voyant nu Fenfant qu'elle
soigne, elle est dévorée du désir de Téventrer.
Une autre femme, d'une grande culture intel-
lectuelle et pleine d'affection pour ses parents,
« se met à les frapper malgré elle et demande
qu'on vienne à son aide en la fixant dans un
fauteuil. »
Un mélancolique tourmenté d'idée de suicide
se leva la nuit, alla frapper à la porte de son
frère et lui cria : « Venez vite, le suicide me
poursuit, bientôt je ne résisterai plus 4 . »
Calmeil, dans son Traité des maladies in-
flammatoires du cerveau, rapporte le cas sui-
vant, dont il a été témoin, et que je rappor-
terai tout au long parce qu'il me dispensera de
beaucoup d'autres :
« Glénadel, ayant perdu son père dès son
enfance, fut élevé par sa mère, qui l'adorait. A
seize ans, son caractère, jusque-là sage et sou-
mis, changea. Il devint sombre et taciturne.
Pressé de questions par sa mère, il se décida
1. Guislain, Ouvrage cité, I, 479.
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78 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
enfin à un aveu : — Je vous dois tout, lui dit-
il, je vous aime de toute mon âme; cependant
depuis quelques jours une idée incessante me
pousse à vous tuer. Empêchez que, vaincu à la
fin, un si grand malheur ne s'accomplisse; per-
mettez-moi de m 'engager. — Malgré des solli-
citations pressantes, il fut inébranlable dans sa
résolution, partit et fut bon soldat. Cependant
une volonté secrète le poussait sans cesse à dé-
serter pour revenir au pays tuer sa mère. Au
terme de son engagement, l'idée était aussi
forte que le premier jour. Il contracta un
nouvel engagement. L'instinct homicide per-
sistait, mais en acceptant la substitution d'une
autre victime. Il ne songe plus à tuer sa mère,
l'affreuse impulsion lui désigne nuit et jour sa
belle-sœur. Pour résister à cette seconde impul-
sion, il se condamne à un exil perpétuel.
« Sur ces entrefaites, un compatriote arrive
à son régiment. Glénadel lui confie sa peine :
— Rassure-toi, lui dit l'autre, le crime est im-
possible, ta belle-sœur vient de mourir. A ces
mots, Glénadel se lève comme un captif délivré;
une joie le pénètre ; il part pour son pays, qu'il
n'avait pas revu depuis son enfance. En arri-
vant, il aperçoit sa belle-sœur vivante. il pousse
un cri, et l'impulsion terrible le ressaisit à l'ins-
tant comme une proie.
« Le soir même, il se fait attacher par son
yGoogk
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 79
frère. — Prends une corde solide, attache-moi
comme un loup dans la grange et va prévenir
M. Calmeil » Il obtint de lui son admission
dans un asile d'aliénés. La veille de son entrée,
il écrivait au directeur de rétablissement :
ce Monsieur, je vais entrer dans votre maison.
Je m'y conduirai comme au régiment. On me
croira guéri ; par moments peut-être, je feindrai
de l'être. Ne me croyez jamais ; je ne dois plus
sortir, sous aucun prétexte. Quand je sollici-
terai mon élargissement, redoublez de surveil-
lance : je n'userais de cette liberté que pour
commettre un crime qui me fait horreur. »
Il ne faut pas croire que cet exemple soit
unique ni même rare, et l'on trouve chez les
aliénistes plusieurs cas d'individus qui, tour-
mentés du besoin de tuer des gens qui leur
sont chers, s'enfuient dans un asile pour se con-
stituer prisonniers.
Les impulsions irrésistibles et pourtant con-
scientes à voler, à incendier, à se détruire par
des excès alcooliques, rentrent dans la même
catégorie *. Maudsley dans sa Pathologie de
V esprit (ch. VII, p. 330 et suiv.) a recueilli
un si ample choix d'exemples que le mieux
est d'y renvoyer le lecteur. J'épargnerai ainsi
au lecteur des redites inutiles : il me suffit de
1. Voir Trélat, Folie lucide. Maudsley, Le crime et la folie, en
part., p. 186.
y Google
80 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
lui rappeler quelle masse innombrable de
faits soutiennent les considérations qui vont
suivre.
II
Il faut d'abord remarquer qu'il y a une tran-
sition presque insensible entre l'état sain et ces
formes pathologiques. Les gens les plus raison-
nables ont le cerveau traversé d'impulsions
folles; mais ces états de conscience soudains et
insolites restent sans effet, ne passent pas à
l'acte, parce que des forces contraires, l'habi-
tude générale de l'esprit, les écrasent; parce
que, entre cet état isolé et ses antagonistes, la
disproportion est tellement grande qu'il n'y a
pas même lutte.
Dans d'autres cas auxquels on attache d'ordi-
naire assez peu d'importance, il y a des actes
bizarres, « mais qui n'ont rien en eux-mêmes
de répréhensible ni de dangereux; ils peuvent
constituer une sorte de tic, de lubie, de manie,
si l'on veut employer ce dernier mot dans son
sens usuel et vulgaire.
« D'autres fois, sans être encore bien compro-
mettants, les actes sont déjà plus graves : ils
consistent à détruire, à frapper sans motif un
objet inanimé, à déchirer des vêtements. Nous
observons en ce moment une jeune femme qui
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 81
mange toutes ses robes. On cite l'exemple d'un
amateur qui, se trouvant dans un musée en
face d un tableau de prix, sent un besoin ins-
tinctif d'enfoncer la toile. Bien souvent ces
impulsions passent inaperçues et n'ont pour
confidente que la conscience qui les éprouve *. »
Certaines idées fixes, de nature futile ou dé-
raisonnable, s'imposent à l'esprit, qui les juge
absurdes, mais sans pouvoir les empêcher de se
traduire en actes. On trouvera dans un travail
de Westphal des faits curieux de ce genre. Un
homme, par exemple, est poursuivi de cette
idée qu'il pourrait confier au papier qu'il est
l'auteur d'un crime quelconque et perdre ce
papier : en conséquence, il conserve soigneuse-
ment tous les papiers qu'il rencontre, en ramasse
les découpures dans la rue, s'assure qu'elles ne
contiennent rien d'écrit, les emporte chez lui
et les collectionne. Il a d'ailleurs pleine con-
science de la puérilité de cette idée, qui le harcèle
à toute heure; il n'y croit pas, sans pouvoir
cependant s'en débarrasser 2 .
Entre les actes les plus puérils et les plus
1. Foville, ouv. cité, p. 341.
2. Westphal, Veber Zwangsvvrstellungen, Berlin, 1877. On peut
remarquer que, dans certains cas, la terreur de produire un
acte y conduit invinciblement : effets du vertige, gens qui se
jettent dans la rue par crainte d'y tomber, qui se blessent de
peur de se blesser, etc. Tous ces faits s'expliquent par la nature
de la représentation mentale, qui, en raison même de son inten-
sité, passe à l'acte.
5.
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82 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
dangereux, il n'y a qu'une différence de quan-
tité : ce que les uns donnent en raccourci, les
autres le montrent en grossissement. Essayons
de comprendre le mécanisme de cette désorga-
nisation de la volonté.
Dans l'état normal, un but est choisi, affirmé,
réalisé; c'est-à-dire que les éléments du moi,
en totalité ou en majorité, y concourent : les
états de conscience (sentiments, idées, avec
leurs tendances motrices), les mouvements de
nos membres forment un consensus qui con-
verge vers le but avec plus ou moins d'effort,
par un mécanisme complexe, composé à la fois
d'impulsions et d'arrêts.
Telle est la volonté sous sa forme achevée,
typique; mais ce n'est pas là un produit naturel.
C'est le résultat de l'art, de l'éducation, de
l'expérience. C'est un édifice construit lente-
ment, pièce à pièce. L'observation objective et
subjective montre que chaque forme de l'acti-
vité volontaire est le fruit d'une conquête. La
nature ne fournit que les matériaux : quelques
mouvements simples dans l'ordre physiolo-
gique, quelques associations simples dans l'ordre
psychologique. Il faut que, à l'aide de ces adap-
tations simples et presque invariables, se for-
ment des adaptations de plus en plus complexes
et variables. 11 faut par exemple que l'enfant
acquière son pouvoir sur ses jambes, ses bras
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 83
et toutes les parties mobiles de son corps, à
force de tâtonnements et d'essais, en combi-
nant les mouvements appropriés et en suppri-
mant les mouvements inutiles. Il faut que les
groupes simples ainsi formés soient combinés
en groupes complexes, ceux-ci en groupes en-
core plus complexes, et ainsi de suite. Dans
Tordre psychologique, une opération analogue
est nécessaire. Rien de complexe ne s'acquiert
d'emblée.
Mais il est bien clair que, dans l'édifice ainsi
construit peu à peu, les matériaux primitifs
sont seuls stables, et qu'à mesure que la com-
plexité augmente la stabilité décroît. Les action^
les plus simples sont les plus stables — pour
des raisons anatômiques, parce qu'elles sont
congénitales, inscrites dans l'organisme; —
pour des raisons physiologiques, parce qu'elles
sont perpétuellement répétées dans l'expérience
de l'individu, et, si Ton veut faire intervenir
l'hérédité, qui ouvre un champ illimité, dans
les expériences sans nombre de l'espèce et des
espèces 1 .
1. Le pouvoir volontaire étant constitué lorsqu'à certains
états de conscience obéissent certains groupes de mouvements,
on peut citer à titre de cas pathologique le fait rapporté par,
Meschede (CorTespondenz Blatt, 1874, II) d'un homme qui « se
trouvait dans cette singulière condition que, lorsqu'il voulait
faire une chose, de lui-même, ou sur l'ordre des autres, lui ou
plutôt ses muscles faisaient juste le contraire. Voulait-il regarder
à droite, ses yeux se tournaient à gauche, et v cette anomalie
y Google
84 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
A tout prendre, ce qui est surprenant, c'est
que la volonté, l'activité d'ordre complexe et su-
périeur, puisse devenir dominatrice. Les causes
qui relèvent et la maintiennent à ce rang sont
les mêmes qui chez l'homme élèvent et main-
tiennent l'intelligence» au-dessus des sensations
et des instincts : et, à prendre l'humanité en
bloc, les faits prouvent que la domination de
Tune est aussi précaire que celle de l'autre. Le
grand développement de la masse cérébrale
chez l'homme civilisé, l'influence de l'éducation
et des habitudes qu'elle impose, expliquent
comment, malgré tant de chances contraires,
l'activité raisonnable reste souvent maîtresse.
Les faits pathologiques qui précèdent mon-
trent bien que la volonté n'est pas une entité
régnant par droit de naissance, quoique parfois
désobéie, mais une résultante toujours instable,
toujours près de se décomposer, et, à vrai dire,
un accident heureux. Ces faits, et ils sont innom-
brables, représeitfent un état qu'on peut appeler
également une dislocation de la volonté et une
forme rétrograde de l'activité.
Si nous considérons les cas d'impulsions irré-
s'étendait à tous ses autres mouvements. C'était une simple
contre-direction de mouvement sans aucun dérangement mental
et qui différait des mouvements involontaires en ceci : qu'il ne
produisait jamais un mouvement que quand il le voulait, mais
que ce mouvement était toujours le contraire de ce qu'il vou-
lait. »
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 85
sistibles avec pleine conscience, nous voyons
que cette subordination hiérarchique des ten-
dances — qui est la volonté — se coupe en deux
tronçons : au consensus qui seul la constitue
s'est substituée une lutte entre deux groupes de
tendances contraires et presque égales, en sorte
qu'on peut dire qu'elle est disloquée *.
Si nous considérons la volonté non plus
comme un tout constitué, mais comme le point
culminant d'une évolution, nous dirons que les
formes inférieures de l'activité l'emportent, et
que l'activité humaine rétrograde. Remarquons
d'ailleurs que le terme « inférieures » n'implique
aucune préoccupation de morale. C'est une infé-
riorité de nature, parce qu'il est évident qu'une
activité qui se dépense tout entière à satisfaire
une idée fixe ou une impulsion aveugle est par
nature bornée, adaptée seulement au présent et
à un très petit nombre de circonstances, tandis
que l'activité raisonnable dépasse le présent
et est adaptée à un grand nombre de circons-
tances.
Il faut bien admettre, quoique la langue ne
1. On pourrait montrer, si c'était ici le lieu, combien l'unité du
moi est fragile et sujette à caution. Dans ces cas de lutte, quel
est le vrai moi, celui qui agit ou celui qui résiste? Si Ton ne
choisit pas, il y en a deux. Si l'on choisit, il faut avouer que le
groupe préféré représente le moi au même titre qu'en politique
une faible majorité obtenue à grand'peine représente l'Etat.
Mais ces questions ne peuvent être traitées en passant : j'espère
leur consacrer quelque jour une monographie.
yGoogk
86 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
s y prête pas, que la volonté, comme l'intelli-
gence, a ses idiots et ses génies, avec tous les
degrés possibles d'un extrême à l'autre. De ce
point de vue, les cas cités dans le premier
groupe (impulsions sans conscience) représen-
teraient l'idiotie de la volonté ou plus exacte-
ment sa démence; et les faits du second groupe,
certains cas de faiblesse volontaire analogues
aux débilités intellectuelles.
Pour poursuivre notre étude, il faut passer de
l'analyse des faits à la détermination de leur
cause. Est-il possible de dire à quelles conditions
est lié cet affaiblissement de l'activité supérieure?
Tout d'abord, on doit se demander si sa dé-
chéance est un effet de la prédominance des
réflexes, ou si, au contraire, elle en est la cause;
•en d'autres termes, si l'affaiblissement de la
volonté est le fait primitif ou le fait secondaire.
Cette question ne comporte pas de réponse gé-
nérale. L'observation montre que les deux cas
se rencontrent; et, par conséquent, on ne peut
donner qu'une réponse particulière pour un cas
particulier dont les circonstances sont bien con-
nues. Il est indubitable que souvent l'impulsion
irrésistible est Yorigo mali; elle constitue un
état pathologique permanent. Il se produit alors,
dans l'ordre psychologique, un phénomène ana-
logue à l'hypertrophie d'un organe ou à la proli-
fération exagérée d'un tissu dans une partie du
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 87
corps, celle par exemple qui amène la formation
de certains cancers. Dans les deux cas, physique
et psychique, ce désordre local retentit dans
tout l'organisme.
Les cas où l'activité volontaire est atteinte
directement, non par contre-coup, sont pour
nous les plus intéressants. Que se passe-t-il alors?
est-ce le pouvoir de coordination qui est atteint,
ou le pouvoir d'arrêt, ou les deux? Point obscur
sur lequel il n'y a que des conjectures à pro-
poser.
Pour chercher quelque lumière, interrogeons
deux nouveaux groupes de faits : les affaiblis-
sements artificiels et momentanés par intoxica-
tion; les affaiblissements chroniques par lésion
cérébrale.
Tout le monde sait que l'ivresse causée par
les liqueurs alcooliques, le hachich, l'opium,
après une première période de surexcitation,
amène un affaiblissement notable de la volonté.
L'individu en a plus ou moins conscience; les
autres le constatent encore mieux. Bientôt (sur-
tout sous l'influence de l'alcool), les impulsions
s'exagèrent. Les extravagances, violences ou
crimes commis en cet état sont sans nombre.
— Le mécanisme de l'envahissement de l'ivresse
est fort discuté. On admet en général qu'il com-
mence par le cerveau, puis agit sur la moelle
épinière et le bulbe, et en dernier lieu sur le
yGoogk
88 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
grand sympathique. 11 se produit une obtusioi
intellectuelle, c'est-à-dire que les états de con
science sont vagues, mal délimités, peu inten
ses : l'activité physio-psychologique du cerveai*
a diminué. Cet affaiblissement atteint aussi L
pouvoir moteur. Obersteiner a montré par de^
expériences que, sous l'influence de l'alcool, Oh
réagit moins vite, tout en ayant l'illusion con
traire 1 . Ce qui est atteint, ce n'est pas seulement
l'idéation , mais l'activité idéo-motrice. En mêm
temps, le pouvoir de coordination devient nu
ou éphémère et sans énergie. La coordinatio,
consistant à la fois à faire converger certaine
impulsions vers un but et à arrêter les impul
sions inutiles ou antagonistes, comme les réflexe v
sont exagérés ou violents, il faut en conclure qu
le pouvoir d'arrêt (quels qu'en soient la natur
et le mécanisme) est lésé, et que son rôle dan*
la constitution et le maintien de l'activité volor
taire est capital.
La pathologie cérébrale fournit d'autres fait
à l'appui, plus frappants, parce qu'ils montrer;
dans l'individu un changement brusque c
stable.
1. Brain, january 1879. Un assez grand nombre d'expérience
ont été faites à cet égard, avec des résultats concordants : Exn«
dans Pflùger's Archiv., 1873, Dietl et Vintschgau : (Ibid., 1877)
un important travail de Kraepelin, fait au laboratoire psych
physique de Wundt et publié dans les Pkilosophische Studie
p. 573 et suiv.
yGoogk
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 89
s
Ferrier et d'autres auteurs citent des cas où
la lésion des circonvolutions frontales (en parti-
culier la première et la seconde) amène une
perte presque totale de la volonté, réduit l'être
à l'automatisme, tout au moins à cet état où
l'activité instinctive réflexe règne à peu près
seule, sans arrêt possible.
Un enfant est blessé par un couteau au lobe
frontal. Dix-sept ans après, on constatait une
bonne santé physique, « mais le blessé est inca-
pable d'occupations nécessitant un travail men-
tal. 11 est irritable, surtout lorsqu'il a bu ou subi
quelque excitation anormale. »
Un malade de Lépine, atteint d'un abcès au
lobe frontal droit, « était dans un état d'hébé-
tude. Il semblait comprendre ce qu'on disait,
mais on avait peine à lui faire prononcer un
mot. Sur un ordre, il s'asseyait ; si on le soule-
vait, il pouvait faire quelques pas sans assis-
tance. »
Un homme atteint d'un coup violent qui
détruisit la plus grande partie de la première et
de la deuxième frontales « avait perdu la vo-
lonté. Il comprenait, agissait comme on lui or-
donnait, mais d'une façon automatique et mé-
canique. »
Plusieurs cas analogues au précédent ont été
rapportés, mais le plus important pour nous est
celui du « carrier américain » . Une barre de fer
yGoogk
90 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
lancée par une mine lui traversa le crâne, lésant
seulement la région pré-frontale. Il guérit et
survécut douze ans et demi à cet accident; mais
voici ce qui est rapporté de l'état mental du
patient après sa guérisôn. « Ses patrons, qui le
considéraient comme un de leurs meilleurs et
de leurs plus habiles conducteurs de travaux
avant son accident, le trouvèrent tellement
changé qu'ils ne purent lui confier de nouveau
son ancien poste. L'équilibre, la balance entre
ses facultés intellectuelles et ses penchants ins-
tinctifs semblent détruits. Il est nerveux, irres-
pectueux, jure souvent de la façon la plus gros-
sière : ce qui n'était pas dans ses habitudes
auparavant. Il est à peine poli avec ses égaux;
il supporte impatiemment la contradiction,
n'écoute pas les conseils lorsqu'ils sont en
opposition avec ses idées. A certains moments,
il est d'une obstination excessive, bien qu'il soit
capricieux et indécis. Il fait des plans d'avenir
qu'il abandonne aussitôt pour en adopter d'au-
tres. C'est un enfant pour l'intelligence et les
manifestations intellectuelles, un homme pour
les passions et les instincts. Avant son accident,
bien qu'il n'eût pas reçu d'éducation scolaire, il
avait l'esprit bien équilibré, et on le considérait
comme un homme habile, pénétrant, très éner-
gique et tenace dans l'exécution de ses plans.
A cet égard, il est tellement changé que ses
y Google
LES AFFAIBLISSEMENTS DE LA VOLONTÉ 91
amis disent qu'ils ne le reconnaissent plus *. »
Ce cas est très net. On y voit la volonté s'affai-
blir dans la mesure où l'activité inférieure se
renforce. C'est de plus une expérience , puis-
qu'il s'agit d'un changement brusque, produit
par un accident, dans des circonstances bien dé-
terminées.
Il est fâcheux que nous n'ayons pas beaucoup
d'observations de ce genre, car un grand pas
serait fait dans notre interprétation des mala-
dies de la volonté. Malheureusement, les tra-
vaux poursuivis avec tant d'ardeur sur les loca-
lisations cérébrales se sont surtout attachés aux
régions motrices et sensitives, qui, on le sait,
laissent en dehors la plus grande partie de la
région frontale. Il faudrait aussi un examen cri-
tique des faits contraires, des cas où aucun
affaiblissement de la volonté ne paraît s'être
produit. Ce travail fait, la thèse de Ferrier —
que dans les lobes frontaux existent des centres
d'arrêt pour les opérations intellectuelles —
prendrait plus de consistance et fournirait une
base solide à la détermination des causes. En
l'état, on ne pourrait sortir du domaine des con-
jectures.
1. Pour ces fait9 et d'autres, voir Ferrier, De la localisation
des maladies cérébrales, trad. de Yarigny, p. 43-56, et C. de
Boyer, Etudes cliniques sur les lésions corticales des hémisphères
cérébraux (1879), p. 48, 55,56, 71.
yGoogk
92 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
En rapprochant l'aboulie des impulsions irré-
sistibles, on notera que la volonté fait défaut
par suite de conditions tout à fait contraires.
Dans un cas, l'intelligence est intacte, l'impul-
sion manque ; dans l'autre, la puissance de coor-
dination et d'arrêt faisant défaut, l'impulsion
se dépense tout entière au profit de l'automa-
tisme.
yGoogk
CHAPITRE III
AFFAIBLISSEMENTS DE L,' ATTENTION VOLONTAIRE
Nous allons étudier maintenant des affaiblis-
sements de la volonté d'un caractère moins
frappant, ceux de Y attention volontaire. Ils
ne diffèrent pas en nature de ceux du dernier
groupe, consistant comme eux en un affaiblisse-
ment du pouvoir de direction et d'adaptation.
C'est une diminution de la volonté au sens le
plus strict, le plus étroit, le plus limité, indiscu-
table même pour ceux qui se renferment obsti-
nément dans l'observation intérieure.
Avant de nous occuper de la faiblesse acquise,
examinons la faiblesse congénitale de l'atten-
tion volontaire. Laissons de côté les esprits
bornés ou médiocres, chez qui les sentiments,
l'intelligence et la volonté sont à un même
unisson de faiblesse. Il est plus curieux de
prendre un grand esprit, un homme doué
d'une haute intelligence, d'une vive faculté de
y Google
94 LES MAX.ADIES DE LÀ VOLONTE
sentir, mais chez qui le pouvoir directeur man-
que, en sorte que le contraste entre la pensée
et le vouloir soit complet. Nous en avons Un
exemple dans Coleridge.
« Aucun homme de son temps ni peut-être
d'aucun temps, dit Carpenter ', n'a réuni plus
que Coleridge la puissance de raisonnement du
philosophe, l'imagination du poète et l'inspira-
tion du voyant. Personne peut-être dans la
génération précédente n'a produit une plus
vive impression sur les esprits engagés dans
les spéculations les plus hautes. Et pourtant il
n'y a probablement personne qui, étant doué
d'aussi remarquables talents, en ait tiré si peu,
— le grand défaut de son caractère étant le
manque de volonté pour mettre ces dons natu-
rels à profit ; si bien que, ayant toujours flot-
tants dans l'esprit de nombreux et gigantesques
projets, il n'a jamais essayé sérieusement d'en
exécuter un seul. Ainsi, dès le début de sa car-
rière, il trouva un libraire généreux, qui lui
promit trente guinées pour des poèmes qu'il
avait récités, le payement intégral devant se
faire à la remise du manuscrit. Il préféra venir,
toutes les semaines, mendier de la manière la
plus humiliante pour ses besoins journaliers la
somme promise, sans fournir une seule ligne de
i. Mental physiology, p. 266 et suif.
y Google
AFFAIBLISSEMENTS DE l' ATTENTION VOLONTAIRE 95
ce poème, qu'il n'aurait eu qu'à* écrire pour se
libérer. L'habitude qu'il prit de bonne heure et
dont il ne se défit jamais de recourir aux sti-
mulants nerveux (alcool, opium) affaiblit encore
son pouvoir volontaire, en sorte qu'il devint
nécessaire de le gouverner. »
La composition de son fragment poétique
Kubla Khan, qu'il a racontée dans sa Biogra-
phie littéraire, est un exemple typique d'ac-
tion mentale automatique. 11 s'endormit en
lisant. A son réveil, il sentit qu'il avait composé
quelque chose comme deux ou trois cents vers
qu'il n'avait qu'à écrire, « les images naissant
comme des réalités, avec les expressions corres-
pondantes, sans aucune sensation ou conscience
d'effort. » L'ensemble de ce singulier fragment,
tel qu'il existe, comprend cinquante-quatre li-
gnes, qui furent écrites aussi vite que la plume
pouvait courir; mais ayant été interrompu pour
une affaire, par quelqu'un qui resta environ une
heure, Goleridge, à sa grande surprise et mor-
tification, trouva « que, quoiqu'il eût encore
un vague et obscur souvenir de l'ensemble gé-
néral de sa vision, à l'exception de huit ou dix
vers épars, tout le reste avait disparu sans
Te tour. »
Les récits de ses contemporains sur son inta-
rissable conversation, son habitude de rêver
tout haut> son parfait oubli de ses interlocu-
y Google
96 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
teurs, laissent l'impression d'une intelligence
exubérante, livrée à un automatisme sans frein.
Les anecdotes curieuses ou plaisantes abondent
sur ce point. Je n'en citerai aucune; j'aime
mieux laisser à un maître le soin de peindre
Thomme.
« La figure de Coleridge et son extérieur,
d'ailleurs bon et aimable, avait quelque chose
de mou et d'irrésolu, exprimant la faiblesse
avec la possibilité de la force. Il pendillait sur
ses membres, les genoux fléchis, dans une atti-
tude courbée. Dans sa marche, il y avait
quelque chose de confus et d'irrégulier, et,
quand il se promenait dans l'allée d'un jardin,
il n'arrivait jamais à choisir définitivement l'un
des côtés, mais se mouvait en tire-bouchon,
essayant des deux.
« Rien n'était plus abondant que sa conver-
sation ; toujours et à la lettre de la nature d'un
monologue, ne souffrant aucune interruption
même respectueuse, écartant immédiatement
toute addition ou annotation étrangères, même
les plus sincères désirs d éclaircissement, comme
des superfluités qui n'auraient jamais dû se pro-
duire. En outre, sa conversation n'allait pas
dans un sens comme une rivière, mais dans
tous les sens, en courants inextricables ou en
remous comme ceux d'un lac ou de la mer ;
terriblement dépourvue de but défini, même
y Google
AFFAIBLISSEMENTS DE L'ATTENTION VOLONTAIRE 97
souvent d'intelligibilité logique : ce que vous
deviez faire ou croire se refusant obstinément à
sortir de ce flot de paroles ; en sorte que, le plus
souvent, vous vous sentiez logiquement perdu,
engouffré et près d'être noyé par cette marée de
mots ingénieux, débordant sans limites comme
pour submerger le monde. ♦
« Il commençait d'une façon quelconque.
Vous lui posiez une question, vous lui faisiez
une observation suggestive. Au lieu de répon-
dre, il commençait par accumuler un appareil
formidable de vessies natatoires logiques, de
préservatifs transcendantaux, d'autres accoutre-
ments de précaution et de véhiculation. Peut-
être à la fin succombait-il sous le poids; mais il
était bien vite sollicité par l'attrait de quelque
nouveau gibier à poursuivre d'ici ou de là, par
quelque nouvelle course, et de course en course
à travers le monde, incertain du" gibier qu'il
prendrait et s'il en prendrait. Sa conversation se
distinguait comme lui-même par l'irrésolution;
elle ne pouvait se plier à des conditions, des ab-
stentions, un but défini ; elle voguait à son bon
plaisir, faisant de l'auditeur avec ses désirs et ses
humbles souhaits un repoussoir purement passif.
« Brillants îlots embaumés, ensoleillés et
bénis, îlots de l'intelligible ! je les ai vus sortir
du brouillard, mais rares et pour être engloutis
• aussitôt dans l'élément général.
RlBOT. — Volonté. 6
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96 LES MALADIES DE LA VOLONTE
« On avait toujours des mots éloquents, artis-
tement expressifs; par intervalles , des vues
d'une pénétrante subtilité; rarement manquait
le ton d'une sympathie noble, quoique étrange-
ment colorée; mais, en général, cette conversa-
tion sans but, faite de nuages, assise sur des
nuages, errant sans loi raisonnable, ne pouvait
être appelée excellente, mais seulement surpre-
nante; elle rappelait l'expression amère de Haz-
litt : Excellent causeur, en vérité, si on le laisse
ne partir d'aucune prémisse, pour n'arriver à
aucune conclusion 1 . »
Descendons maintenant aux vulgaires exem-
ples d'affaiblissement acquis de l'attention vo-
lontaire. Elle se présente sous deux formes :
lo La première est caractérisé par une activité
intellectuelle exagérée, une surabondance d'états
de conscience, une production anormale de sen-
timents et d'idées dans un temps donné. Nous
en avons fait déjà mention à propos de l'ivresse
alcoolique. Cette exubérance cérébrale éclate
davantage dans l'ivresse plus intelligente du ha-
chich et de l'opium. L'individu se sent débordé
par le flux incoercible de ses idées, et le langage
n'est pas assez rapide pour rendre la rapidité de
la pensée; mais en même temps le pouvoir de
1. Carlyle, The Life of Sterling, ch. VlII.
yGoogk
AFFAIBLISSEMENTS DE L' ATTENTION VOLONTAIRE 99
diriger les idées devient de plus en plus faible,
les moments lucides de plus en plus courts 1 .
Cet état d'exubérance psychique, quelle qu'en
soit la cause (fièvre, anémie cérébrale, émotion),
aboutit toujours au même résultat.
Entre cet état et l'attention, il y a donc un
antagonisme complet : l'un exclut l'autre. Ce
n'est d.'ailleurs qu'un cas particulier de l'exagé-
ration des réflexes; seulement il s'agit ici de ré-
flexes psychiques; en d'autres termes, tout état
de conscience actuel tend à se dépenser, et il ne
peut le faire que de deux manières : produire un
mouvement, un acte; ou bien éveiller d'autres
états de conscience suivant les lois de l'associa-
tion. Ce dernier cas est un réflexe d'ordre plus
complexe, un réflexe psychique, mais il n'est
comme l'autre qu'une forme de l'automatisme.
2° La deuxième forme nous ramène au type
de l'aboulie : elle consiste en une diminution
progressive du pouvoir directeur et une impossi-
bilité finale de l'effort intellectuel.
« Dans la période initiale de certaines maladies
du cerveau et de l'esprit, le malade se plaint
d'incapacité à gouverner et à diriger la faculté
de l'attention. Il trouve qu'il lui est impossible,
sans un effort visible et pénible, d'accomplir son
travail mental accoutumé, de lire ou de com-
1. Moreau, Du hachich et de l'aliénation mentale, p. 60. Richet,
Les poisons de l'intelligence, p. 71.
yGoogk
400 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
prendre le contenu d'une lettre, d'un journal,
même une ou deux pages de quelque livre fa-
vori; l'esprit tombe à un état vacillant, incapable
de continuité dans la pensée.
<l Conscient de cet affaiblissement d'énergie,
le malade tâche de la reconquérir; il prend un
livre, résolu à ne pas céder à ses sensations d'in-
capacité intellectuelle, de langueur psychique,
de faiblesse cérébrale; mais souvent il découvre
qu'il a perdu tout pouvoir d'équilibre mental, de
concentration et de coordination de ses idées.
Dans ses tentatives pour comprendre le sens de
ce qu'il a sous les yeux, il lit et relit avec résolu-
tion, avec une apparence d'énergie victorieuse
certains passages frappants, mais sans être ca-
pable de saisir un ensemble d'idées très sim-
ples ou de poursuivre avec succès un raisonne-
ment élémentaire. Cette tentative, surtout si
elle est soutenue, de faire converger l'attention
sur un point, accroît souvent la confusion de
l'esprit et produit une sensation physique de las-
situde cérébrale et de céphalalgie \ »
Beaucoup de paralytiques généraux, après
avoir traversé la période de suractivité intellec-
tuelle, celle des projets gigantesques, des achats
immodérés, des voyages sans motif, de la loqua-
cité incessante, où la volonté est dominée par
1. Forbes Winslow, On the obscure Diseases ofthe Brain, etc.,
p. 216.
y Google
AFFAIBLISSEMENTS DE L'ATTENTION VOLONTAIRE 101
les réflexes, en viennent à la période où elle est
impuissante par atonie; l'effort ne dure qu'un
moment, jusqu'à ce que cette passivité toujours
croissante aboutisse à la démence *.
Le lecteur voit, sans commentaires, que les
maladies de l'attention volontaire sont réducti-
bles aux types déjà étudiés. Il est donc plus fruc-
tueux, sans multiplier les exemples, de recher-
cher ce que cet état de l'esprit qu'on nomme
l'attention peut nous apporter de renseigne-
ments sur la nature de la volonté et de sugges-
tions pour les conclusions de ce travail.
Je n'ai pas à* étudier l'attention, quelque inté-
ressant et mal connu que soit ce sujet. La ques-
tion ne peut être prise ici que de biais, c'est-à-
dire qu'autant qu'elle touche à la volonté. Je
réduirai mes conclusions sur ce point aux pro-
positions suivantes :
1° L'attention volontaire, celle dont on célè-
bre d'ordinaire les merveilles, n'est qu 'une imi-
1. Parmi ces malades, quelques-uns, assez rares, traversent
une période de lutte qui montre bien en quelle mesure la
volonté est maîtresse et comment elle finit par succomber :
« J'ai vu à Bicêtre, dit Billod (loc. cit.), un paralytique général
dont le délire des grandeurs était aussi prononcé que possible,
s'évader, se rendre pieds nus, par une pluie battante et de nuit,
de Bicêtre aux Batignolles. Le malade resta dans le monde un
an entier, pendant lequel il lutta de toute sa volonté contre son
délire intellectuel, sentant très bien qu'à la première idée fausse
on le ramènerait à Bicêtre. Il y revint cependant. —J'ai rencon-
tré plusieurs autres exemples de cette intégrité de la volonté se
conservant assez longtemps chez les paralytiques généraux. »
6.
yGoogk
102 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
tation artificielle, instable et précaire, de l'at-
tention spontanée.
2° Celle-ci seule est naturelle et efficace.
3° Elle dépend, quant à son origine et à sa
durée, de certains états affectifs, de la présence
de sentiments agréables ou desagréables; en un
mot, elle est sensitive dans son origine, ce qui
la rapproche des réflexes.
4° Les actions d'arrêt paraissent jouer un rôle
important, mais mal connu, dans le méca-
nisme de l'attention.
Pour justifier ces propositions, il est bon
d'examiner d'abord ^'attention spontanée et de
la prendre sous ses formes les plus diverses.
L'animal en arrêt qui guette sa proie, l'enfant
qui contemple avec ardeur quelque spectacle
banal, l'assassin qui attend sa victime au coin
d un bois (ici l'image remplace la perception de
l'objet réel), le poète possédé par une vision in-
térieure, le mathématicien qui poursuit la so-
lution d'un problème * : tous présentent essen-
tiellement les mêmes caractères externes et in-
ternes.
L'état d'attention intense et spontanée, je le
définirais volontiers, comme Sergi, une différen-
ciation de la perception produisant une plus
grande énergie psychique dans certains centres
1. 11 ne s'agit, bien entendu, que de ceux qui sont poètes ou
mathématiciens par nature, non par éducation.
y Google
AFFAIBLISSEMENTS DE h 9 ATTENTION VOLONTAIRE 103
nerveux avec une sorte de catalepsie tempo-
raire des autres centres *. Mais je n'ai pas à étu-
dier l'attention en elle-même ; ce qui nous im-
porte, c'est de déterminer son origine, sa cause.
Il est clair que, dans les états ci-dessus énu-
mérés et leurs analogues, la vraie cause est un
état affectif, un sentiment de plaisir, d'amour,
de haine, de curiosité : bref, un état plus ou
moins complexe, agréable, désagréable ou mixte.
C'est parce que la proie, le spectacle, l'idée de
la victime, le problème à résoudre produisent
chez l'animal, l'enfant, l'assassin, le mathémati-
cien, une émotion intense et suffisamment du-
rable qu'ils sont attentifs. Otez l'émotion, tout
disparaît. Tant qu'elle dure, l'attention dure.
Tout se passe donc ici àla manière de ces réflexes
1. « Le processus si compliqué de l'attention est déterminé par
les mêmes conditions anatoino-physiologiques des organes encé-
phaliques qui se rencontrent plus simples dans l'excitation sen-
sitive. Ces conditions dépendent du processus continu de diffé-
renciation que subissent les éléments nerveux. Nous avons déjà
vu un premier processus de différenciation dans le passage de
l'onde (nerveuse) diffuse à l'onde restreinte, c'est-à-dire dans le
passage de la sensation à la perception distincte : ce qui
implique une localisation cérébrale. C'est un processus de diffé-
renciation encore plus grand que nous nommons attention :
l'onde excitatrice devient plus restreinte et plus intense, plus
localisée et plus directe : par suite, le phénomène entier prend
une forme claire et distincte. » (Sergi, Tporia fisiologica délia
percezione, ch. XII, p. 216. Outre ce substantiel chapitre, on
pourra consulter sur l'attention étudiée du point de vue de la
psychologie nouvelle : Lewes, Problems of life and Mind, 3 e série,
p. 184; Maudsley, Physiol. de l'esprit, trad. française, p. 457;
Wundt, Grundzùge der physiol. Psychologie, 2 e éd., p. 391 ; Fer-
rier, Les fonctions du cerveau, § 102.)
yGoogk
104 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
qui paraissent continus, parce qu'une excitation
sans cesse répétée et toujours la même les main-
tient, jusqu'au moment où l'épuisement ner-
veux se produit.
Veut-on la contre-épreuve? Qu'on remarque
que les enfants, les femmes et en. général les
esprits légers ne sont capables d'attention que
pendant un temps très court; parce que les
choses n'éveillent en eux que des sentiments
superficiels et instables; qu'ils sont complè-
tement inattentifs aux qesstions élevées, com-
plexes, profondes, parce qu'elles les laissent
froids; qu'ils sont au contraire attentifs aux
choses futiles, parce qu'elles les intéressent. Je
pourrais rappeler encore que l'orateur et l'écri-
vain maintiennent l'attention de leur public en
«'adressant à leurs sentiments (agrément, ter-
reur, etc.) . On peut tourner et retourner la ques-
tion en tous sens; la même conclusion s'im-
pose et je n'insisterais pas sur un fait évident,
si les auteurs qui ont étudié l'attention ne me
paraissaient avoir oublié cette influence capitale.
A ce compte, on doit dire que l'attention
spontanée donne un maximum d'effet avec un
minimum d'effort; tandis que l'attention volon-
taire donne un minimum d'effet avec un maxi-
mum d'effort et que cette opposition est d'au-
tant plus tranchée que l'une est plus spontanée
et l'autre plus volontaire. A son plus haut degré,
y Google
AFFAIBLISSEMENTS DE L* ATTENTION VOLONTAIRE 105
l'attention volontaire est un état artificiel où, à
l'aide de sentiments factices, nous maintenons
à grand'peine certains états de conscience qui
ne tendent qu'à s'évanouir (par exemple, quand
nous poursuivons par politesse une conversation
très ennuyeuse). Dans un cas, ce qui détermine
cette spécialisation de la conscience, c'est toute
notre individualité; dans le second, c'est une
portion extrêmement faible et restreinte de
notre individualité.
Bien des questions se poseraient ici; mais,
je le répète, je n'ai pas à étudier l'attention en
elle-même. J'avais simplement à montrer (ce
qui, je l'espère, ne laisse aucun doute) qu'elle
est dans son origine de la nature des réflexes;
que sous sa forme spontanée elle a leur régula-
rité et leur puissance d'action; que, sous sa
forme volontaire, elle est beaucoup moins régu-
lière et puissante; mais que, dans les deux cas,
c'est une excitation sensitive qui la cause, la
maintient et la mesure.
On voit une fois de plus que le volontaire est
fait avec l'involontaire, s'appuie sur lui, tire de
lui sa force et est, en comparaison, bien fragile.
L'éducation de l'attention ne consiste en défi-
nitive qu'à susciter et à développer ces senti-
ments factices et à tâcher de les rendre stables
par la répétition; mais, comme il n'y a pas de
création ex nihilo, il leur faut une base natu-
y Google
106 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
relie, si mince qu'elle soit. Pour conclure sur
ce point, j'avouerai que j'accepte pour mon
compte le paradoxe si souvent combattu d'Hel-
vétius « que toutes les différences intellectuelles
entre les hommes ne viennent que de l'atten-
tion », sous la réserve qu'il s'agit de l'attention
spontanée seule; mais alors tout se réduit à
dire que les différences entre les hommes sont
innées et naturelles.
Après avoir montré comment l'attention se
produit, il reste à chercher comment elle se
maintient. La difficulté ne porte que sur l'atten-
tion voulue. Nous avons vu, en effet, que le
maintien de l'attention spontanée s'explique
de lui-même. Elle est continue, parce que
l'excitation qui la cause est continue. Par contre,
plus l'attention est volontaire, plus elle requiert
d'effort et plus elle est instable. Les deux cas
se réduisent à une lutte entre des états de con-
science. Dans le premier cas, un état de con-
science (ou pour mieux dire un groupe d'états)'
est tellement intense qu'il n'y a contre lui au-
cune lutte possible et qu'il s'impose de vive force.
Dans le second cas, le groupe n'a pas de lui-
même une intensité suffisante pour s'imposer :
il n'y parvient que par une force additionnelle,
qui est l'intervention de la volonté.
Par quel mécanisme agit-elle? Autant qu'il
semble, par un arrêt de mouvements. Nous re-
y Google
AFFAIBLISSEMENTS DE L* ATTENTION VOLONTAIRE 107
venons ainsi à ce problème de l'inhibition, plus
obscur ici que partout ailleurs. Voyons ce qu'on
peut supposer à cet égard. D'abord, il est à peine
nécessaire de rappeler que le cerveau est un
organe moteur, c'est-à-dire qu'un grand nombre
de ses éléments sont consacrés à produire du
mouvement et qu'il n'y a pas un seul état de
conscience qui ne contienne à un degré quel-
conque des éléments moteurs. Il s'ensuit que
tout état d'attention implique l'existence de ces
éléments. « Dans les mouvements de nos mem-
bres et de notre corps, nous avons le sentiment
très net d'une opération 1 . Nous lavons à un
degré moindre dans l'ajustement délicat de nos
yeux, de nos oreilles, etc. Nous ne le recon-
naissons que par induction dans l'ajustement
encore plus délicat de l'attention et de la com-
préhension, qui sont aussi, et sans métaphore,
des actes de l'esprit. Les combinaisons intellec-
tuelles les plus pures impliquent des mouve-
ments (avec les sentiments concomitants) aussi
nécessairement que la combinaison des muscles
pour manipuler. Le sentiment d effort ou de
repos éprouvé, quand nous cherchons ou trou-
vons notre route à travers une masse d'idées
obscures et enchevêtrées, n'est qu'une forme
affaiblie du sentiment que nous avons en cher-
1. Lewes, Problème oflife and Mhid, 3« séries, p. 397.
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108 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
chant ou en trouvant notre route dans une forêt
épaisse et sombre. »
Rappelons encore que tout état de conscience,
surtout lorsqu'il est très intense, tend à passer
à l'acte, à se traduire en mouvements, et que,
dès qu'il entre dans sa phase motrice, il perd de
sop intensité, il est en déclin, il tend à dispa-
raître de la conscience. — Mais un état de con-
science actuel a une autre manière de se dé-
penser : c'est de transmettre sa tension à d'au-
tres états d'après le mécanisme de l'association.
C'est, si l'on veut, une dépense interne au lieu
d'une dépense externe. Toutefois, l'association
qui part de l'état présent ne se fait pas d'une
seule manière. Dans l'attention spontanée, cer-
taines associations prévalent seules et d'elles-
mêmes, par leur propre intensité. Dans l'atten-
tion voulue (la réflexion en représente la forme
la plus élevée), nous avons conscience d'une
irradiation en divers sens. Bien mieux, dans les
cas où nous avons beaucoup de peine à être
attentifs, les associations qui prévalent sont
celles que nous ne voulons pas, c'est-à-dire qui
ne sont pas choisies, affirmées comme devant
être maintenues.
Par quel moyen donc les plus faibles sont-
elles maintenues? Pour nous représenter, dans
la mesure possible, ce qui se passe en pareil cas,
considérons des faits analogues, mais d'un ordre
y Google
AFFAIBLISSEMENTS DE L* ATTENTION VOLONTAIRE 109
plus palpable. Prenons un homme qui apprend
à jouer d'un instrument, à manier un outil, ou
mieux encore un enfant qui apprend à écrire.
Au début, il produit un grand nombre de mou-
vements complètement inutiles; il fait mouvoir
sa langue, sa tête, sa face, ses jambes, ce n'est
que peu à peu qu'il apprend à tenir ses organes
en sujétion et à se restreindre aux mouvements
nécessaires des mains et des yeux.
Dans l'attention voulue, les choses se passent
d'une manière analogue. Les associations qui
diffusent en tous sens- sont assimilables à ces
mouvements inutiles. Le problème, dans un
cas comme dans l'autre, c'est de $ubstituer une
diffusion limitée, restreinte, à une diffusion illi-
mitée. Pour cela, nous enrayons les associations
inutiles à notre but. A proprement parler, nous
ne supprimons pas des états de conscience, mais
nous empêchons qu'ils se survivent en éveillant
des états analogues et qu'ils prolifèrent à leur
gré. On sait d'ailleurs que cette tentative est
souvent impuissante, toujours pénible et, dans
certains cas, incessamment répétée. En même
temps que nous empêchons cette diffusion en
tous sens, la force nerveuse disponible est éco-
nomisée à notre profit. Diminuer la diffusion
inutile, c'est augmenter la concentration utile.
Telle est l'idée qu'on peut se faire de ce phé-
nomène obscur, quand on essaye d'en pénétrer
RlBOT. — Volonté, 7
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110 LES MALADIES DB LA VOLONTÉ
le mécanisme, au lieu d'avoir recours à une
prétendue «c faculté » d'attention qui n'explique
rien. On doit d'ailleurs reconnaître avec Ferrier
« que le fondement physiologique, sur lequel
repose ce contrôle de l'idéation, est une question
fort délicate et à peine susceptible d'une dé-
monstration expérimentale '. » Ajoutons que ce
qui précède ne prétend qu'à être une approxi-
mation, non une explication.
1. On lira avec profit les deux paragraphes (Fonctions du cerveau,
§ 103, 104) qu'il a consacrés à cette question. Il a surtout bien
montré comment la suppression des mouvements va de pair avec
l'accroissement d'attention, spontanée ou volontaire :
« La faculté de fixer l'attention et de concentrer la conscience
dépend de l'inhibition du mouvement» Pendant le temps où nous
sommes occupés par une idéation attentive, nous supprimons
les mouvements actuels, mais nous maintenons en état de tension
plus ou moins considérable les centres du mouvement ou des
mouvements auxquels sont unis les divers facteurs sensitifs de
l'idéation.
« En réprimant la tendance à la diffusion externe dans les
mouvements actuels, nous augmentons la diffusion interne et
nous concentrons la conscience. Car le degré de conscience est
inversement proportionnel à la quantité de diffusion externe
active. Dans l'attention la plus intense, tout mouvement qui
diminuerait la diffusion interne est également arrêté. Aussi, quand
nous pensons profondément, les actions automatiques elles-mêmes
sont arrêtées, et on peut remarquer qu'un homme qui, en se
promenant, tombe dans une méditation profonde, s'arrête ei
reste en repos. »
yGoogk
CHAPITRE IV
LE RÈGNE DES CAPRICES
Vouloir, c'est choisir pour agir : telle est pour
nous la formule de la volonté normale. Les ano-
malies étudiées jusqu'ici se réduisent à deux
grands groupes : l'impulsion manque, et aucune
tendance à agir ne se produit (aboulie); l'impul-
sion trop rapide ou trop intense empêche le
choix. Avant d'examiner les cas d'anéantisse-
ment de la volonté, c'est-à-dire ceux où il n'y
a ni choix ni actes, étudions un type de carac-
tère dans lequel la volonté ne se constitue pas
ou ne le fait que sous une forme chancelante,
instable et sans efficacité. Le meilleur exemple
qu'on en puisse donner, c'est le caractère hys-
térique. A proprement parler, nous rencontrons
ici moins un désordre qu'un état constitutionnel.
L'impulsion irrésistible simple est comme une
maladie aiguë; les impulsions permanentes et
y Google
112 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
invincibles ressemblent à une maladie chroni-
que, le caractère hystérique est une diathèse.
C'est un état où les conditions d'existence de la
volition manquent presque toujours.
J'emprunte au portrait que le D r Huchard a
récemment tracé du caractère des hystériques
les traits qui se rapportent à notre sujet :
« Un premier trait de leur caractère est la
mobilité. Elles passent d'un jour, d'une heure,
d'une minute à l'autre avec une incroyable
rapidité de la joie à la tristesse, du rire aux
pleurs; versatiles, fantasques ou capricieuses,
elles parlent dans certains moments avec une
loquacité étonnante, tandis que dans d'autres
elles deviennent sombres et taciturnes, gardent
un mutisme complet ou restent plongées dans
un état de rêverie ou de dépression mentale;
elles sont alors prises d'un sentiment vague et
indéfinissable de tristesse avec sensation de ser-
rement à la gorge, de boule ascendante, d'op-
pression épigastrique ; elles éclatent en san-
glots, ou elles vont cacher leurs larmes dans la
solitude, qu'elles réclament et qu'elles recher-
chent ; d'autres fois, au contraire, elles se met-
tent à rire d'une façon immodérée, sans motifs
sérieux. Elles se comportent, dit Ch. Richet,
comme les enfants que Ton fait rire aux éclats
alors qu'ils ont encore sur la joue les larmes
qu'ils viennent de répandre.
y Google
LE RÈGNE DES CAPRICES 113
« Leur caractère change comme les vues
d'un kaléidoscope, ce qui a pu faire dire avec
raison par Sydenham que ce qu'il y a de plus
constant chez elles c'est leur inconstance. Hier,
elles étaient enjouées, aimables et gracieuses ;
aujourd'hui, elles sont de mauvaise humeur,
susceptibles et irascibles, se fâchant de tout et
de rien, maussades et boudeuses par caprice,
mécontentes de leur sort; rien ne les intéresse,
elles s'ennuient de tout. Elles éprouvent une
antipathie très grande contre une personne
qu'hier elles aimaient et estimaient, ou au
contraire témoignent une sympathie incom-
préhensible pour telle autre : aussi poursuivent-
elles de leur haine certaines personnes avec
autant d'acharnement qu'elles avaient autre-
fois mis de persistance à les entourer d'affec-
tion
« Parfois leur sensibilité est exaltée par les
motifs les plus futiles, alors qu'elle est à peine
touchée par les plus grandes émotions : elles
restent presque indifférentes, impassibles même
à l'annonce d'un vrai malheur, et elles versent
d'abondantes larmes, s'abandonnent au déses-
poir le plus profond pour une simple parole
mal interprétée et transforment en offense la
plus légère plaisanterie. Cette sorte d'ataxie
morale s'observe encore pour leurs intérêts les
plus chers : celle-ci a l'indifférence la plus com-
y Google
114 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
plète pour l'inconduite de son mari; celle-là
reste froide devant le danger qui menace sa for-
tune. Tour à tour douces et emportées, dit
Moreau (de Tours), bienfaisantes et cruelles,
impressionnables à l'excès, rarement maîtresses
de leur premier mouvement, incapables de ré-
sister à des impulsions de la nature la plus
opposée, présentant un défaut d'équilibre entre
les facultés morales supérieures, la volonté, la
conscience, et les facultés inférieures, instincts,
passions et désirs.
« Cette extrême mobilité dans leur état d'es-
prit et leurs dispositions affectives, cette insta-
bilité de leur caractère, ce défaut de fixité,
cette absence de stabilité dans leurs idées M
leurs volitions, rendent compte de l'impossibi-
lité où elles se trouvent de porter longtemps
leur attention sur une lecture, une étude ou un
travail quelconque.
« Tous ces changements se reproduisent avec
la plus grande rapidité. Chez elles, les impul-
sions ne sont pas, comme chez les épileptiques,
privées absolument du contrôle de l'intelli-
gence; mais elles sont vivement suivies de
l'acte. C'est ce qui explique ces mouvements
subits de colère et d'indignation, ces enthou-
siasmes irréfléchis, ces affolements de déses-
poir, ces explosions de gaieté folle, ces grands
élans d'affection, ces attendrissements rapides,
y Google
LE RÈGNE DBS CAPRICES 115
ou ces brusques emportements pendant les-
quels, agissant comme des enfante gâtés, elles
trépignent du pied, brisent les meubles, éprou-
vent un besoin irrésistible de frapper
ce Les hystériques s'agitent, et les passions
les mènent. Toutes les diverses modalités de
leur caractère, de leur état mental, peuvent
presque se résumer dans ces mots : elles ne
savent pas, elles ne peuvent pas, elles ne veu-
lent pas vouloir. C'est bien, en effet, parce que
leur volonté est toujours chancelante et défail-
lante, c'est parce qu'elle est sans cesse dans un
état d'équilibre instable, c'est parce qu'elle
tourne au moindre vent comme la girouette
sur nos toits, c'est pour toutes ces raisons que
les hystériques ont cette mobilité, cette incon-
stance et cette mutabilité dans leurs désirs,
dans leurs idées et leurs affections \ »
Ce portrait si complet nous permet d'abréger
les commentaires. Il a mis sous les yeux du
lecteur cet état d'incoordination, de rupture
d'équilibre, d'anarchie, d' « ataxie morale » ;
mais il nous reste à justifier notre assertion du
début : qu'il y a ici une impuissance constitu-
tionnelle de la volonté ; qu'elle ne peut naître,
parce que ses conditions d'existence manquent.
Pour des raisons de clarté, j'anticiperai sur ce
1. Axenfeld et Huchard, Traité des névroses, 2 6 édition, 1883,
p. 958-971.
y Google
116 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
qui sera établi avec plus de détails et de preuves
dans les conclusions de cet ouvrage.
Si nous prenons une personne adulte, douée
d'une volonté moyenne, nous remarquerons
que son activité (c'est-à-dire son pouvoir de
produire des actes) forme en gros trois étages :
au plus bas, les actes automatiques, réflexes
simples ou composés, habitudes; au-dessus, les
actes produits par les sentiments, les émotions
et les passions; plus haut, les actes raisonnables.
Ce dernier étage suppose les deux autres, re-
pose sur eux et par conséquent en dépend, quoi-
qu'il leur donne la coordination et l'unité. Les
caractères capricieux dont l'hystérique est le type
n'ont que les deux formes inférieures ; la troi-
sième est comme atrophiée. Par nature, sauf de
rares exceptions, l'activité raisonnable est tou-
jours la moins forte. Elle ne l'emporte qu'à
condition que les idées éveillent certains senti-
ments qui sont, bien plus que les idées, aptes à
se traduire en actes. Nous avons vu que plus les
idées sont abstraites, plus leurs tendances mo-
trices sont faibles. Chez les hystériques, les idées
régulatrices ne naissent pas ou restent à l'état
sec. C'est parce que certaines notions d'ordre
rationnel (utilité, convenance, devoir, etc.)
restent à l'état de conceptions simples, qu'elles
ne sont pas senties par l'individu, qu'elles ne
produisent en lui aucun retentissement affectif,
yGoogk
LE RÈGNE DES CAPRICES 117
qu'elles n'entrent pas dans sa substance, mais
demeurent comme un apport étranger, — c'est
pour cela qu'elles sont sans action et, en pra-
tique, comme si elles n'existaient pas. Le pou-
voir d'agir de l'individu est tronqué et incom-
plet. La tendance des sentiments et des passions
à se traduire en actes est doublement forte :
par elle-même et parce qu'il n'y a rien au-dessus
d'elle qui l'enraye et lui fasse contre-poids; et
comme c'est un caractère des sentiments d'aller
droit au but, à la manière des réflexes, d'avoir
une adaptation en un seul sens, unilatérale (au
contraire de l'adaptation rationnelle, qui est
multilatérale), les désirs, nés promptement, im-
médiatement satisfaits, laissent la place libre
à d'autres, analogues ou opposés, au gré des
variations perpétuelles de l'individu. 11 n'y a
plus que des caprices, tout au plus des vel-
léités, une ébauche informe de volition 4 .
Ce fait que le désir va dans une seule direc-
tion et tend à se dépenser sans retard, n'explique
pas cependant l'instabilité de l'hystérique ni
son absence de volonté. Si un désir toujours
satisfait renaît toujours, il y a stabilité. La pré-
dominance de la vie affective n'exclut pas né-
cessairement la volonté : une passion intense,
1. Notons en passant combien il est nécessaire en psychologie
de tenir compte de la gradation ascendante des phénomènes.
La volition n'est pas un état net et tranché, qui existe ou.
n'existe pas; il y a des ébauches et des essais.
7.
Digitized by VjOOQlC
118 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
stable, consentie, est la base même de toutes
les volontés énergiques. On la trouve chez les
grands ambitieux, chez le martyr inébranlable
dans sa foi, chez le Peau-Rouge narguant ses
ennemis au milieu des tourments. Il faut donc
chercher plus profondément la cause de cette
instabilité chez l'hystérique, et cette cause ne
peut être qu'un état de l'individualité, c'est-à-
dire, en fin de compte, de l'organisation. Nous
appelons une volonté ferme celle dont le but,
quelle qu'en soit la nature, est fixe. Que les cir-
constances changent, les moyens changent; il
se fait des adaptations successives au nouveau
milieu; mais le 'centre vers lequel tout con-
verge ne change pas. Sa stabilité traduit la per-
manence du caractère dans l'individu. Si le
même but reste choisi, agréé, c'est qu'au fond
l'individu reste le même. Supposons au con-
traire un organisme à fonctions instables, dont
l'unité — qui n'est qu'un consensus — est sans
cesse défaite et refaite sur un nouveau plan,
suivant la variation brusque des fonctions qui
la composent; il est clair qu'en pareil cas le
choix peut à peine naître, ne peut durer, et
qu'il n'y a plus que des velléités et des caprices.
C'est ce qui advient chez l'hystérique. L'insta-
bilité est un fait. Sa cause très probable est
dans les troubles fonctionnels. L'anesthésie des
sens spéciaux ou de la sensibilité générale, les
yGbogk
LE RÈGNE DES CAPRICES 119
hyperesthésies, les désordres de la motilité,
contractures, convulsions, paralysies, les trou-
bles des fonctions organiques, vaso-motrices,
secrétaires, etc., qui se succèdent ou coexistent,
tiennent l'organisme en état perpétuel d'équi-
libre instable 1 , et le caractère qui n'est que
l'expression psychique de l'organisme varie de
même. On caractère stable sur des bases si
chancelantes serait un miracle. Nous trouvons
donc ici la vraie cause de l'impuissance de la
volonté à être, et cette impuissance est, comme
nous l'avons dit, constitutionnelle.
Des faits, en apparence contradictoires, con-
firment cette thèse. Les hystériques sont quel •
quefois possédées par une idée fixe, invincible.
L'une se refuse à manger, une autre à parler,
une autre à voir, parce que le travail de la di-
gestion, l'exercice de la voix ou de la vision dé-
termineraient, à ce qu'elles prétendent, une
douleur. Plus fréquemment, on rencontre ce
genre de paralysie qui a été appelée « psychi-
que » ou «idéale ». L'hystérique reste couchée
des semaines, des mois et même des années,
se croyant incapable de rester debout ou de
marcher. Un choc moral ou tout simplement
l'influence d'une personne qui gagne sa con-
fiance ou agit avec autorité produit la guérison.
1. Pour les détails des faits, voir l'ouvrage cité, p. 987-1043»
y Google
120 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
L'une se met à marcher à l'annonce d'un incen-
die, une autre se lève et va à la rencontre d'un
frère absent depuis longtemps, une autre se dé-
cide à manger par crainte du médecin. Briquet,
dans son Traité de V hystérie, rapporte plu-
sieurs cas de femmes qu'il a guéries, en leur ins-
pirant la foi en leur guérison. On pourrait men-
tionner encore bon nombre de ces guérisons
dites miraculeuses, qui ont défrayé la curiosité
publique depuis l'époque du diacre Paris jusqu'à
nos jours.
Les causes physiologiques de ces paralysies
sont très discutées. Dans l'ordre psychologique»
nous constatons l'existence d'une idée fixe dont
le résultat est un arrêt. Comme une idée
n'existe pas par elle-même et sans certaines con-
ditions cérébrales, comme elle n'est qu'une par-
tie d'un tout psychophysiologique, — la partie
consciente, — il faut admettre qu'elle répond à
un état anormal de l'organisme, peut-être des
centres moteurs et qu'elle tire de là son origine.
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas là, comme cer-
tains médecins l'ont soutenu avec insistance,
une « exaltation » de la volonté ; c'en est au con-
traire l'absence. Nous retrouvons un type mor-
bide déjà étudié et qui ne diffère des impulsions
irrésistibles que dans la forme : il est inhibi-
toire. Mais il n'y a contre l'idée fixe aucune
réaction venant directement de l'individu. C'est
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LE RÈGNE DES CAPRICES 121
une influence étrangère qui s'impose et produit
un état de conscience contraire, avec les senti-
ments et états physiologiques concomitants. Il
en résulte une impulsion puissante à Faction,
qui supprime et remplace l'état d'arrêt; mais
c'est à peine une volition, tout au plus une voli-
tion avec l'aide d'autrui.
Ce groupe de faits nous conduit donc à la
même conclusion : impuissance de la volonté à
se constituer \
1. Pour les faits, voir Briquet, Traité de l'hystérie, en. X;
Axenfeld et Huchard, ouv. cité, p. 967-1012; Cruveilhier, Anatomie
pathologique, liv. XXXV, p. 4 ; Macario, Ann. médico-psychoL,
tome III, p. 62; Ch. Richet, Revue des Deux-Mondes, 15 jan-
vier 1880; P. Richer, Études cliniques sur l'hystéro-épilepsie, etc.,
3* p., ch. II, et les notes historiques.
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CHAPITRE V
l'anéantissement de la volonté
Les cas d'anéantissement de la volonté, dont
nous abordons maintenant l'étude, sont ceux, où
il n'y a ni choix ni actes. Lorsque toute l'acti-
vité psychique est ou semble complètement
suspendue, comme dans le sommeil profond,
Tanesthésie provoquée, le coma et les états ana-
logues, c'est un retour à la vie végétative :
nous n'avons rien à en dire; la volonté disparaît,
parce que tout disparaît. Ici, il s'agit des cas où
une forme d'activité mentale persiste, sans qu'il
y ait aucune possibilité de choix suivi d'acte. Cet
anéantissement de la volonté se rencontre dans
l'extase et le somnambulisme.
1
On a distingué diverses sortes d'extase : pro-
fane, mystique, morbide, physiologique, cata-
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124 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
leptique, somnambulique, etc. Ces distinctions
n'importent pas ici, l'état mental restant au
fond le même. La plupart des extatiques attei-
gnent cet état naturellement, par un effet de
leur constitution. D'autres secondent la nature
par des procédés artificiels. La littérature reli-
gieuse et philosophique de l'Orient, de l'Inde
en particulier, abonde en documents dont on a
pu extraire une sorte de manuel opératoire
pour parvenir à l'extase. Se tenir immobile, re-
garder fixement le ciel, ou un objet lumineux,
ou le bout du nez, ou son nombril (comme les
moines du Mont-Athos appelés omphalopsy-
ches ), répéter continuellement le monosyllabe
Oum (Brahm), en se représentant l'être su-
prême; « retenir son haleine », c'est-à-dire ra-
lentir sa respiration; « ne s'inquiéter ni du
temps ni du lieu » : tels sont les moyens qui
« font ressembler à la lumière paisible d'une
lampe placée en un lieu où le vent ne souffle
pas* ».
1. Bhagavad-gita, lecture 6«. — Les docteurs bouddhistes admet-
tent quatre degrés dans la contemplation qui conduit au nirvana
terrestre.
Le premier degré est le sentiment intime de bonheur qui naît
dans l'âme de l'ascète quand il se dit enfin arrivé à distinguer
la nature des choses. Le yogui est alors détaché de tout désir
autre que le nirvana; il juge et raisonne encore; mais il est
affranchi de toutes les conditions du péché et du vice.
Au second degré, le vice et le péché ne le souillent plus, mais
en outre il a mis de côté le jugement et le raisonnement; son
intelligence ne se fixe que sur le nirvana, ne ressent que le
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l'anéantissement de la volonté 125
Quand cet état est atteint, l'extatique présente
certains caractères physiques : tantôt immobile
et muet, tantôt traduisant la vision qui le pos-
sède par des paroles, des chants, des attitudes.
Rarement il se déplace. Sa physionomie est ex-
pressive; mais ses yeux, même ouverts, ne
voient pas. Les sons n'agissent plus; sauf, dans
quelques cas, la voix d'une certaine personne.
La sensibilité générale est éteinte; nul contact
n'est senti; ni piqûre ni brûlure n'éveillent la
douleur.
Ce qu'il éprouve intérieurement, l'extatique
seul peut le dire, et, s'il n'en gardait au réveil
un souvenir très net, les profanes en seraient ré-
duits aux inductions. Leurs récits et leurs
écrits montrent, au milieu des différences de
races, de croyance, d'esprit, de temps et de lieu t
une frappante uniformité. Leur état mental se
réduit à une idée-image unique ou servant de
plaisir de la satisfaction intérieure, sans le juger ni même le
comprendre.
Au troisième degré, le plaisir de la satisfaction a disparu, le
sage est tombé dans l'indifférence à l'égard du bonheur qu'éprou-
vait encore son intelligence. Tout le plaisir qui lui reste, c'est
un vague sentiment de bien-être physique dont tout son corps
est inondé; il a encore une conscience confuse de lui-même.
Enfin, au quatrième degré, le yogui ne possède plus ce senti-
ment de bien-être physique, tout obscur qu'il est ; il a également
perdu toute mémoire; il a même perdu le sentiment de son
indifférence. Libre de tout plaisir et de toute douleur, il est
parvenu à l'impassibilité, aussi voisine du nirvana qu'elle peut
Têtre durant cette vie. (Barth. Saint-Hilaire, Le Bouddha et sa
religion, p. 136, 137.)
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426 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
noyau à un groupe unique qui occupe toute la
conscience et s'y maintient avec une extrême
intensité. Plusieurs mystiques ont décrit cet
état avec une grande délicatesse, avant tous
sainte Thérèse. J'extrais donc quelques passages
de son autobiographie, pour mettre sous les
yeux du lecteur une description authentique de
l'extase.
Pour s'unir à Dieu, il y a quatre degrés
« d'oraison », qu'elle compare à quatre manières
de plus en plus faciles d'arroser un jardin, ce la
première en tirant de l'eau du puits à force de
bras, et c'est là un rude travail; la seconde
en la tirant avec une noria (machine hydrau-
lique), et l'on obtient ainsi avec une moindre
fatigue une plus grande quantité d'eau; la troi-
sième en faisant venir l'eau d'une rivière ou
d'un ruisseau; la quatrième et sans comparaison
la meilleure, c'est une pluie abondante. Dieu
lui même se chargeant d'arroser, sans la moin-
dre fatigue de notre part » (ch. XI).
Aux deux premiers degrés, il n'y a encore que
des essais d'extase que la sainte note en passant:
« Quelquefois, au milieu d'une lecture, j'étais
tout à coup saisie du sentiment de la présence
de Dieu. Il m'était absolument impossible de
douter qu'il ne fût au dedans de moi ou que je
fusse abîmée toute en lui. Ce n'était pas là une
vision... Elle suspend l'àme de telle sorte qu'elle
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l'anéantissement de la volonté 127
semble être tout entière hors d'elle-même. La
volonté aime, la mémoire me paraît presque
perdue, l'entendement n'agit point, néanmoins
il ne se perd pas. » — A un degré plus haut qui
n'est « ni un ravissement ni un sommeil spiri-
tuel », « la seule volonté agit, et, sans savoir
comment elle se rend captive, elle donne sim-
plement à Dieu son consentement, afin qu'il
l'emprisonne, sûre de tomber dans les fers de
celui qu'elle aime... L'entendement et la mé-
moire viennent au secours de la volonté, afin
qu'elle se rende de plus en plus capable de jouir
d'un si grand bien. Quelquefois pourtant, leur
secours ne sert qu'à la troubler dans cette in-
time union avec Dieu. Mais alors la volonté,
sans se mettre en peine de leur importunité, doit
se maintenir dans les délices et le calme pro-
fond dont elle jouit. Vouloir fixer ses deux puis-
sances [facultés] serait s'égarer avec elle. Elles
sont alors comme des colombes qui, mécon-
tentes de la nourriture que leur maître leur
donne sans aucun travail de leur part, vont en
chercher ailleurs, mais qui, après une vaine
recherche, se hâtent de revenir au colombier. »
A. ce degré, « je regarde comme un très grand
avantage, lorsque j'écris, de me trouver actuel-
lement dans l'oraison dont je traite, car je vois
clairement alors que ni l'expression ni la pensée
ne viennent de moi; et quand c'est écrit, je ne
y Google
128 LES MALADIES I>E LA VOLONTÉ
puis plus comprendre cotament j'ai pu le faire,
ce qui m'arrive souvent. »
Au troisième degré, voici l'extase : ce Cet état
est un sommeil des puissances [facultés] où, sans
être entièrement perdues en Dieu, elles n'enten-
dent pourtant pas comment elles opèrent... On
dirait quelqu'un qui, soupirant après la mort,
tient déjà en main le cierge bénit et n'a plus
qu'un souffle à exhaler pour se voir au comble
de ses désirs. C'est pour l'âme une agonie pleine
d'inexprimables délices, où elle se sent presque
entièrement mourir à toutes les choses du
monde et se repose avec ravissement dans la
jouissance de son Dieu. Je ne trouve point d'au-
tres termes pour peindre ni pour expliquer ce
qu'elle éprouve. En cet état, elle ne sait que
faire : elle ignore si elle parle, si elle se tait, si
elle rit, si elle pleure; c'est un glorieux délire,
une céleste folie, une manière de jouir souve-
rainement délicieuse... Tandis qu'elle cherche
ainsi son Dieu, l'âme se sent avec un très vif et
très suave plaisir défaillir presque tout entière;
elle tombe dans une espèce d'évanouissement
qui peu à peu enlève au corps la respiration et
toutes les forces. Elle ne peut sans un très pé-
nible effort faire même le moindre mouvement
des mains. Les yeux se ferment sans qu'elle
veuille les fermer, et, si elle les tient ouverts,
elle ne voit presque rien. Elle est incapable de
y Google
l'anéantissement de la volonté 429
lire, en eût-elle le désir; elle aperçoit bien des
lettres; mais, comme l'esprit n'agit pas, elle ne
peut ni les distinguer ni les assembler. Quand
on lui parle, elle entend le son de la voix, mais
non des paroles distinctes. Aussi elle ne reçoit
aucun service de ses sens... Toutes les forces
extérieures l'abandonnent : sentant par là croître
les siennes, elle peut mieux jouir de sa gloire...
A la vérité, si j'en juge par mon expérience,
cette oraison est dans les commencements de
si courte durée, qu'elle ne se révèle pas d'une
manière aussi manifeste par les marques exté-
rieures et par la suspension des sens. Il est à
remarquer, du moins à mon avis, que cette sus-
pension de toutes les puissances ne dure jamais
longtemps; c'est beaucoup quand elle va jus-
qu'à une demi-heure, et je ne crois pas qu'elle
m'ait jamais tant duré. Il faut l'avouer pour-
tant, il est difficile d'en juger puisqu'on est
alors privé de sentiment. Je veux simplement
constater ceci : toutes les fois que cette suspen-
sion générale a lieu, il ne se passe guère de
temps sans que quelqu'une des puissances re-
vienne à elle. La volonté est celle qui se main-
tient le mieux dans l'union divine, mais les deux
autres recommencent bientôt à l'importuner.
Comme elle est dans le calme, elle les ramène
et les suspend de nouveau; elles demeurent
ainsi tranquilles quelque moment et reprennent
yGoogk
130 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
ensuite leur vie naturelle. L'oraison peut avec
ces alternatives se prolonger et se prolonge, de
fait, pendant quelques heures... Mais cet état
d'extase complète, sans que l'imagination, selon
moi également ravie, se porte à quelque objet
étranger, est, je le répète, de courte durée.
J'ajoute que les puissances ne revenant à elles
qu'imparfaitement, elles peuvent rester dans
une sorte de délire l'espace de quelques heures,
pendant lesquelles Dieu de temps en temps les
ravit de nouveau et les fixe en lui... Ce qui se
passe dans cette union secrète est si caché qu'on
ne saurait en parler plus clairement. L'âme se
voit alors si près de Dieu et il lui en reste une
certitude si ferme qu'elle ne peut concevoir
le moindre doute sur la vérité d'une telle faveur-
Toutes ses puissances perdent leur activité na-
turelle; elles n'ont aucune connaissance de leurs
opérations... Cet importun papillon de la mé-
moire voit donc ici ses ailes brûlées, et il n'a plus
le pouvoir de voltiger ça et là. La volonté est sans
doute occupée à aimer, mais elle ne comprend
pas comment elle aime. Quant à l'entendement,
s'il entend, c'est par un mode qui lui reste in-
connu, et il ne peut comprendre rien de ce
qu'il entend *. »
i. Vie de sainte Thérèse écrite par elle-même, trad. du R. P.
Bouix, 10 e éd., p. 90, 91, 96, 138, 142, 157, 177-180. Comparer
aussi Plotin, Ennéades, VI ; Tauler, Institution chrétienne, ch. XII,
XXVI, XXXV.
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l'anéantissement de la volonté 131
Je ne suivrai pas sainte Thérèse dans sa des-
cription du d ravissement » (ch. XX), « cet aigle
divin qui avec une impétuosité soudaine vous
saisit et vous enlève. » Ces extraits suffisent, et,
si on les lit avec attention, on n'hésitera pas à
leur attribuer toute la valeur d'une bonne obser-
vation psychologique \
En examinant les relations détaillées d'autres
extatiques (que je ne peux rapporter ici), je
trouve qu'il y a lieu, pour notre sujet, d'établir
deux catégories.
Dans la première, la motilité persiste à un
certain degré. L'extatique suit dans son évolu-
tion et reproduit avec des mouvements appro-
priés la Passion, la Nativité ou quelque autre
drame religieux. C'est une série d'images très
intenses, ayant un point de départ invariable,
un enchaînement invariable qui se répète dans
1. Sainte Thérèse décrit ainsi son état physique pendant ses
u ravissements » : « Souvent mon corps devenait si léger qu'il
n'avait plus de pesanteur; quelquefois c'était à un tel point que
je ne sentais plus mes pieds toucher à terre. Tant que le corps
est dans le ravissement, il reste comme mort et souvent dans
une impuissance absolue d'agir» Il conserve l'attitude où il a été
surpris; ainsi il reste sur pied ou assis, les mains ouvertes ou
fermées, en un mot dans l'état où le ravissement l'a trouvé.
Quoique d'ordinaire on ne perde pas le sentiment, il m'est cepen-
dant arrivé d'en être entièrement privée : ceci a été rare et a
duré fort peu de temps. Le plus souvent, le sentiment se con-
serve; mais on éprouve je ne sais quel trouble; et, bien qu'on ne
puisse agir à l'extérieur, on ne laisse pas d'entendre : c'est
comme ud son confus qui viendrait de loin. Toutefois, même
cette manière d'entendre cesse, lorsque le ravissement est à son
plus haut degré. » (Ibid., p. 206.)
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132 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
chaque accès avec un parfait automatisme. Marie
de Mœrl, Louise Lateau en sont des exemples
bien connus.
L'autre catégorie est celle de l'extase en repos.
L'idée seule règne, d'ordinaire abstraite ou mé-
taphysique : Dieu pour sainte Thérèse et Plotin,
mieux encore le nirvana des bouddhistes. Les
mouvements sont supprimés; on ne sent plus
« qu'un reste d'agitation intérieure ».
Remarquons en passant combien ceci s'ac-
corde avec ce qui a été dit précédemment :
qu'avec les idées abstraites la tendance au mou-
vement est à son minimum ; que ces idées étant
des représentations de représentations, de purs
schémas, l'élément moteur s'affaiblit dans la
même mesure que l'élément représentatif.
Mais dans l'un et l'autre cas l'état mental de
l'extase est une infraction complète aux lois du
mécanisme normal de la conscience. La con-
science n'existe que sous la condition d'un chan-
gement perpétuel; elle est essentiellement dis-
continue. Une conscience homogène et continue
est une impossibilité. L'extase réalise tout ce
qui est possible dans cette continuité; mais
sainte Thérèse vient de nous le dire : ou bien la
conscience disparaît, ou bien l'entendement et
la mémoire — c'est-à-dire la discontinuité —
reviennent par moments et ramènent la con-
science.
y Google
l'anéantissement de la volonté 433
Cette anomalie psychologique se complique
d'une autre. Tout état de conscience tend à se
dépenser en raison même de son intensité. Dans
la plus haute extase, la dépense est nulle ou à
peu près, et c'est grâce à l'absence de cette phase
motrice que l'intensité intellectuelle se main-
tient. Le cerveau, organe à la fois intellectuel
et moteur dans l'état normal, cesse d'être mo-
teur. Bien plus, dans l'ordre intellectuel, les
états de conscience hétérogènes et multiples
qui constituent la vie ordinaire ont disparu.
Les sensations sont supprimées; avec elles, les
associations qu'elles suscitent. Une représenta-
tion unique absorbe tout. Si l'on compare l'acti-
vité psychique normaltà un capital en circula-
tion, sans cesse modifié par les recettes et les
dépenses, on peut dire qu'ici le capital est ra-
massé en un bloc; la diffusion devient concentra-
tion, l'extensif se transforme en intensif. Rien
d'étonnant donc si, dans cet état d'éréthisme
intellectuel, l'extatique paraît transfigurée, au-
dessus d'elle-même. Certes les visions de la gros-
sière paysanne de Sanderet qui voyait une Vierge
tout en or, dans un paradis en argent, ne res-
semblent guère à celles d'une sainte Thérèse
ou d'un Plotin; mais chaque intelligence au
moment de l'extase donne son maximum.
Est-il bien nécessaire maintenant de recher-
cher pourquoi, dans cet état, il n'y a ni choix ni
RlBOT. — Volonté. 8
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134 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
actes? Comment y aurait-il choix, puisque le
choix suppose l'existence de ce tout complexe
qu'on nomme le moi qui a disparu; puisque, la
personnalité étant réduite à une idée ou à une
vision unique, il n'y a point d'état qui puisse
être choisi, c'est-à-dire incorporé au tout, à
l'exclusion des autres; puisque, en un mot, il
n'y a rien qui puisse choisir, rien qui puisse être
choisi? Autant vaudrait supposer une élection
sans électeurs ni candidats.
L'action aussi est tarie dans sa source, anéan-
tie. Il n'en subsiste que les formes élémen-
taires (mouvements respiratoires, etc.), sans
lesquelles la vie organique serait impossible.
Nous avons ici un cas curieux de corrélation ou
d'antagonisme psychologique : tout ce qu'une
fonction gagne est perdu par une autre ; tout
ce qui est gagné par la pensée est perdu par le
mouvement. À cet égard, l'extase est le con-
traire des états où la motilité triomphe, tels
que Tépilepsie, la chorée, les convulsions. Ici,
maximum de mouvements avec minimum de
conscience ; là, intensité de la conscience, avec
minimum de mouvement. Il n'y a, à chaque
moment, qu'un certain capital nerveux et psy-
chique disponible; s'il est accaparé par une
fonction, c'est au détriment des autres. L'acca-
parement dans un sens ou dans l'autre dépend
de la nature de l'individu.
y Google
l'anéantissement de la volonté 135
Après avoir étudié l'anéantissement de la
volonté sous sa forme la plus haute, remar-
quons qu'on trouve dans la contemplation,
dans la réflexion profonde, des formes mitigées
et décroissantes de cet anéantissement. L'inap-
titude des esprits contemplatifs pour l'action a
des raisons physiologiques et psychologiques
dont l'extase nous a donné le secret.
II
11 serait aussi intéressant pour le psycho-
logue que pour le physiologiste de savoir ce qui
produit l'abolition de la conscience dans le som-
nambulisme naturel ou provoqué et de quelles
conditions organiques elle résulte. Malgré les
travaux poursuivis avec ardeur durant ces der-
nières années, on n'a sur ce point que des théo-
ries, et l'on peut choisir entre plusieurs hypo-
thèses. Les uns, comme Schneider et Berger, en
font un résultat de 1' « attention expectante »,
produisant une concentration unilatérale et
anormale de la conscience. Preyer y voit un
cas particulier de sa théorie du sommeil. D'au-
tres, comme Rumpf, admettent des change-
ments réflexes dans la circulation cérébrale, des
phénomènes d'hyperhémie et d'anémie dans la
surface des hémisphères du cerveau. Heiden-
hain, qui combat cette dernière théorie, expli-
yGoogk
136 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
que Thypnotisme par une action d'arrêt. Il se
produirait une suspension d'activité des cellules
nerveuses corticales, peut-être par changement
de disposition moléculaire : de cette manière,
le mouvement fonctionnel de la substance grise
serait interrompu. Cette dernière hypothèse
est celle qui paraît rallier le plus d'adhérents.
Comme elle n'est guère, du moins au point de
vue psychologique, qu'une simple constatation
de fait, nous pouvons nous y tenir.
Il serait inutile de décrire un état tant de fois
décrit et avec tant de soin \ Remarquons seu-
lement que les termes somnambulisme, hypno-
tisme et leurs analogues, ne désignent pas un
état identique chez tous et partout. Cet état
varie, chez le même individu, du simple assou-
pissement à la stupeur profonde; et d'un indi-
vidu à l'autre, suivant là constitution, l'habitude,
les conditions pathologiques, etc. Aussi serait-il
illégitime d'affirmer qu'il y a toujours anéantis-
sement du pouvoir volontaire. Nous allons voir
qu'il y a des cas très douteux.
Prenons d'abord l'hypnotisme sous la forme
que plusieurs auteurs ont nommée léthargique.
L'inertie mentale est absolue ; la conscience est
abolie ; les réflexes sont exagérés, — exagéra-
tion qui va toujours de pair avec l'affaiblisse-
i. Voir en particulier les articles de M. Ch. Richet dans la
Revue philosophique d'octobre et de novembre 1880, et de mars 1883.
y Google
l'anéantissement de la volonté 137
ment de l'activité supérieure. A la voix de
l'opérateur, l'hypnotisé se lève, marche, s'as-
sied, voit des absents, voyage, décrit des pay-
sages. Il n'a, comme on dit, d'autre volonté
que celle de l'opérateur. Cela signifie en termes
plus précis : Dans le champ vide de la con-
science, un état est suscité; et, comme tout
état de conscience tend à passer à l'acte, —
immédiatement ou après avoir éveillé des asso-
ciations, — l'acte s'ensuit. Ce n'est qu'un cas
d'une loi bien connue qui dans l'ordre psycho-
logique est l'analogue du réflexe dans l'ordre
physiologique : et le passage à l'acte est ici
d'autant plus facile qu'il n'y a rien qui l'entrave,
ni pouvoir d'arrêt, ni état antagoniste, l'idée
suggérée régnant seule dans la conscience en-
dormie. — Des faits, en apparence plus bizar-
res, s'expliquent de même. On sait que, en don-
nant aux membres de l'hypnotisé certaines
postures convenables, on éveille en lui le senti-
ment de l'orgueil, de la terreur, de l'humilité,
de la piété; que, si on les dispose pour grimper,
il tente une escalade; que, si on lui met en
mains quelque instrument de travail habituel,
il travaille. Il est clair que la position imposée
aux membres éveille dans les centres cérébraux
les états de conscience correspondants, auxquels
ils sont associés par de nombreuses répéti-
tions. L'idée une fois éveillée est dans les
8.
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138 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
mêmes conditions que celle née d'un ordre ou
d'une suggestion directe de l'opérateur. Tous
ces cas sont donc réductibles à la même for-
mule : l'hypnotisé est un automate que l'on fait
jouer, suivant la nature de son organisation. Il
y a anéantissement absolu de la volonté, la per-
sonnalité consciente étant réduite à un seul et
unique état, qui n'est ni choisi ni répudié, mais
subi, imposé.
Dans le somnambulisme naturel, l'automa-
tisme est spontané, c'est-à-dire qu'il a pour an-
técédent quelque état cérébral qui a lui-même
pour antécédent quelque excitation particu-
lière dans l'organisme. Souvent ici, l'automa-
tisme est d'un ordre supérieur : la série des états
suscités est longue et chaque terme de la série
est complexe. On peut en donner comme type
le chanteur dont Mesnet a raconté l'histoire : si
on lui présente une canne qu'il prend pour un
fusil, ses souvenirs militaires ressuscitent ; il
charge son arme, se couche à plat ventre, vise
avec soin et tire. Si on lui présente un rouleau
de papier, les souvenirs de son métier actuel
ressuscitent; il le déroule et chante à pleine
voix *. Mais k répétition invariable des mêmes
actes, dans le même ordre, dans chaque accès,
1. De ^automatisme de la mémoire et du souvenir dans le soi*-
nambulisme pathologique, Paris, 1874. Voir aussi P. Richer, ouv.
cité, p. 391 et suiv.
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l'anéantissement de la volonté 139
donne à tous ces faits un caractère d'automa-
tisme très net d'où toute volonté est exclue.
11 y a pourtant des cas équivoques. Burdaeh
nous parle d'une « très belle ode » composée en
% état de somnambulisme. On a souvent cité l'his-
toire de cet abbé qui, composant un sermon,
corrigeait et remaniait ses phrases, changeait la
place des épithètes. Une autre personne essaye
plusieurs fois de se suicider et, à chaque accès,
emploie de nouveaux moyens. Les faits de ce
genre sont si nombreux que, même en faisant
la part de la crédulité et de l'exagération, une
fin de non recevoir est impossible.
On peut dire : De pareils actes supposent une
comparaison, suivie d'un choix, d'une préfé-
rence ; et c'est ce qu'on appelle une volition. Il
existerait donc un pouvoir volontaire, c'est-à-
dire une réaction propre de l'individu, — sourd,
obscur, limité, actif pourtant.
On peut soutenir aussi que l'automatisme à
lui seul suffit. N'est-ce pas une vérité reconnue
que, à l'état normal, le travail intellectuel est
souvent automatique et qu'il n'en vaut que
mieux? Ce que les poètes appellent l'inspira-
tion, n'est-ce pas un travail cérébral, involon-
taire, presque inconscient, ou qui, du moins,
n'arrive à la conscience que sous la forme de
résultats? Nous nous relisons, et nos corrections
sont souvent spontanées, c'est-à-dire que le
y Google
140 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
mouvement de la pensée amène une association
nouvelle de mots et d'idées qui se substitue à
l'autre immédiatement. Il se pteut donc que
l'individu, comme être qui choisit et préfère,
n'y soit pour rien. En subtilisant davantage, on
peut soutenir que tous ces cas ne sont pas rigou-
reusement comparables ; que, si pour composer
une ode l'automatisme suffît, pour la corriger il
ne suffit pas ; que, dans ce dernier cas, il y a un
choix, si rapide, si insignifiant qu'on le suppose.
Au lieu d'un zéro de volonté, nous aurions un
minimum de volonté. Cette opinion se ramène-
rait à la première ou n'en serait séparée que par
une nuance.
Le lecteur choisira entre ces deux interpréta-
tions. Je passe à des cas où les données sont
plus nettes.
Il y a chez les hypnotisés des exemples nom-
breux de résistance. Un ordre n'est pas obéi,
une suggestion ne s'impose pas d'emblée. Les
magnétiseurs du siècle dernier recommandaient
à l'opérateur le ton d'autorité, à l'opéré la foi,
la confiance qui produit le consentement et
empêche la résistance.
a Pendant l'état de somnambulisme, B... ac-
complit sur l'ordre certains actes; mais elle se
refuse à d'autres. Le plus souvent, elle ne veut
pas lire, bien que nous nous soyons assurés
qu'elle y voit, malgré l'occlusion apparente
y Google
l'anéantissement de la volonté 141
des paupières En plaçant les mains de B...
dans l'attitude de la prière, celle-ci s'impose à
son esprit. Aux questions, elle répond qu'elle
prie la sainte Vierge, mais qu'elle ne la voit pas.
Tant que les mains demeurent dans la même
position, elle continue sa prière et ne dissi-
mule pas son mécontentement si l'on cherche
à l'en distraire. En déplaçant les mains, la
prière cesse aussitôt. Toute fatale qu'elle est,
la prière, dans ce cas, est en quelque sorte rai-
sonnée, puisque la malade résiste aux distrac-
tions et est capable de soutenir une discussion
avec celui qui vient l'interrompre '. »
L'un des sujets de M. Ch. Richet qui se laisse
sans aucune difficulté métamorphoser en offi-
cier, en matelot, etc., se refuse au contraire
avec larmes à être changé en prêtre : ce que le
caractère, les habitudes du sujet et le milieu
où il a vécu expliquent suffisamment.
11 se trouve donc des cas où deux états
coexistent : l'un par une influence du dehors,
l'autre par une influence du dedans. Nous
connaissons la puissance automatique du pre-
mier. Ici, un état contraire l'enraye; il existe
quelque chose qui ressemble à un pouvoir
d'arrêt. Mais ce pouvoir est si faible qu'il
cède d'ordinaire à des attaques répétées, si
1. P. Richer, Étude sur Vhystéro-épilepsie, p. 426,427.
yGoogk
142 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
vague qu'on n'en peut déterminer la nature.
N'est-il qu'un état de conscience antagoniste
suscité par la suggestion même, en sorte que
tout se réduirait à la coexistence de deux états
contraires? Est-il plus complexe, et faut-il
admettre qu'il représente la somme des ten-
dances encore existantes dans l'individu et
quelques restes de ce qui constitue son carac-
tère? — Si l'on accepte la théorie de Heiden-
hain, on aurait, dans l'état dit léthargique, un
arrêt complet de l'activité fonctionnelle; l'ordre
ou la suggestion mettraient en jeu un nombre
infiniment restreint d'éléments nerveux, dans
la couche corticale ; enfin dans l'état de résis-
tance surgiraient de leur sommeil quelques-uns
de ces éléments qui, à l'état normal, forment
la base physiologique et psychologique de l'in-
dividu, étant l'expression synthétique de son
organisme. Il faut avouer que, même en ad-
mettant cette deuxième hypothèse, ce qui res-
terait du pouvoir volontaire, de la possibilité
pour Tindividu de réagir selon sa nature serait
un embryon, un pouvoir si dénué d'efficace
qu'on peut à peine l'appeler une volonté.
Remarquons de plus que, s'il est difficile
pour l'observateur de deviner quel pouvoir de
réaction persiste chez la personne qui résiste,
celle-ci en est encore plus mauvais juge :
« Une analyse attentive des phénomènes,
y Google
l'anéantissement de la volonté 143
telle que peuvent la faire des hommes instruits
et intelligents, qui ont consenti à se soumettre
à Faction du magnétisme, montre combien il
est malaisé même au sujet endormi de se
rendre compte qu'il ne simule pas. Pour faire
ces observations, il ne faut pas que le sommeil
soit très profond.-. A la période d'engourdisse-
ment, la conscience est conservée, et cepen-
dant il y a un commencement d'automatisme
très manifeste.
« Un médecin de Breslau avait affirmé à
M. Heidenhain que le magnétisme ne ferait
aucune impression sur lui; mais, après qu'il
eut été engourdi, il ne put prononcer une
seule parole. Réveillé, il déclara qu'il aurait
pu très bien parler et que, s'il n'avait rien dit,
c'est parce qu'il n'avait rien voulu dire. Nouvel
engourdissement par quelques passes; nou-
velle impuissance de la parole. On le réveille
encore, et il est forcé de reconnaître que, s'il
ne parlait pas, c'est qu'il ne pouvait pas parler.
« Un de mes amis, étant seulement engourdi
et non tout à fait endormi, a bien étudié c e
phénomène d'impuissance coïncidant avec l'il-
lusion de la puissance. Lorsque je lui indique
un mouvement, il l'exécute toujours, même
lorsque, avant d'être magnétisé, il était parfai _
tement décidé à me résister. C'est ce qu'il a le
plus de peine à comprendre à son réveil. —
y Google
144 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
(( Certainement, me dit-il, je pourrais résister,
« mais je n'ai pas la volonté de le faire. » Aussi
est-il quelquefois tenté de croire qu'il simule.
« Quand je suis engourdi, me dit-il, je simule
« l'automatisme, quoique je puisse, ce me
« semble, faire autrement. J'arrive avec la
« ferme volonté de ne pas simuler, et, malgré
« moi, dès que le sommeil commence, il me
« paraît que je simule. » On comprendra que
ce genre de simulation d'un phénomène se con-
fond absolument avec la réalité de ce phéno-
mène. L'automatisme est prouvé par le seul fait
que des personnes de bonne foi ne peuvent pas
agir autrement que des automates. Peu importe
qu'elles s'imaginent pouvoir résister. Elles ne
résistent pas. Voilà le fait qui doit être pris en
considération et non l'illusion qu'elles se font
de leur soi-disant pouvoir de résistance \ »
Cependant ce pouvoir de résistance, si faible
qu'il soit, n'est pas égal à zéro ; il est une der-
nière survivance de la réaction individuelle ex-
trêmement appauvrie : il est au seuil de l'anéan-
tissement, mais sans le dépasser. L'illusion de ce
faible pouvoir d'arrêt doit répondre à quelque état
physiologique également précaire. En somme,
l'état de somnambulisme naturel ou provoqué
peut être donné ajuste titre comme un anéantis-
i. Ch. Richet, art. cité, p. 348, 349,
y Google
l'anéantissement de la volonté 145
sèment de la volonté. Les cas d'exceptions sont
rares, obscurs ; ils apportent toutefois leur part
d'enseignement. Ils montrent une fois de plus
que la volition n'est pas une quantité invariable,
mais qu'elle décroît au point qu'on peut éga-
lement soutenir qu'elle est et qu'elle n'est
pas.
Je mentionnerai en passant un fait qui rentre
à peine dans la pathologie de la volonté, mais
qui fournit matière à réflexion. On peut donner
à certains sujets hypnotisés l'ordre d'exécuter
une action, plus tard, à un moment déterminé
de la journée ou même à une date plus éloi-
gnée (dans huit, dix jours). Revenus à eux, ils
exécutent cet ordre à l'heure prescrite, au jour
prescrit, en déclarant d'ordinaire « qu'ils ne
savent pas pourquoi ». Dans quelques cas plus
curieux, ces personnes donnent des raisons
spécieuses pour expliquer leur conduite,
pour justifier cet acte qui ne vient pas de leur
spontanéité, mais leur est imposé, sans qu'elles
le sachent. Pour en citer un exemple que je
connais : Un jeune homme commande vers dix
heures du soir à sa maîtresse hypnotisée de s'en
aller à trois. heures du matin; puis il la rend à
l'état normal. Vers cette heure, elle s'éveille,
fait ses préparatifs pour partir et, quoiqu'il la
prie de rester, elle trouve des motifs pour ex-
cuser et justifier son départ à cette heure indue.
RlBOT. — Volonté. 9
Digitized by VjOOQlC
146 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
« Notre illusion du libre arbitre, dit Spinoza,
n'est que l'ignorance des motifs qui nous font
agir. » Ce fait et ses analogues ne yiennent-ils
pas à l'appui? !
i. On trouvera plusieurs cas de ce genre dans l'article pré-
cité de M. Ch. Richet, Revue philosvphique, mars 1883, p. 238.
yGoogk
CHAPITRE VI
CONCLUSION
I
Après avoir examiné les divers types mor-
bides, voyons si Ton peut découvrir une loi qui
résume la pathologie de la volonté etjette quel-
que jour sur l'état normal.
A titre de fait, la volition seule existe, c'est-à-
dire un choix suivi d'actes. Pour qu'elle se pro-
duise, certaines conditions sont nécessaires. Un
manque d'impulsion ou d'arrêt, une exagéra-
tion de l'activité automatique, d'une tendance,
d'un désir, une idée fixe, l'empêchent d'être
pendant un instant, une heure, un jour, une
période de la vie. L'ensemble de ces conditions,
nécessaires et suffisantes, peut être appelé vo-
lonté. Par rapport aux. volitions, elle est une
cause, bien qu'elle soit elle-même une somme
d'effets, une résultante variant avec ses élé-
ments : la pathologie nous l'a démontré.
y Google
148 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
Ces éléments que j'indique brièvement sont :
l p Les tendances à l'action (ou à l'arrêt) qui
résultent des circonstances, du milieu, des con-
seils, de l'éducation; en un mot, tous ceux qui
sont l'effet de causes extérieures.
2° Le caractère, élément principal, effet de
causes intérieures et qui n'est pas une entité,
mais la résultante de cette myriade d'états et de
tendances infiniment petits de tous les éléments
anatomiques qui constituent un certain orga-
nisme : en termes plus courts, le caractère est
pour nous l'expression psychologique d'un cer-
tain corps organisé, tirant de lui sa couleur
propre, son ton particulier et sa permanence
relative. C'est là l'assise dernière sur laquelle re-
pose la possibilité du vouloir et qui le fait éner-
gique, mou, intermittent, banal, extraordinaire.
Maintenant, si nous considérons la volonté
non plus dans ses éléments constituants, mais
dans les moments qu'elle parcourt pour se cons-
tituer, nous voyons que la volition est le dernier
terme d'une évolution progressive dont le réflexe
simple est le premier échelon : elle est la forme
la plus haute de l'activité, — entendue toujours
au sens précis de pouvoir de produire des actes,
de pouvoir de réaction x
Elle a pour base un legs de générations sans
nombre, enregistré dans l'organisme : c'est l'ac-
tivité automatique primitive, à coordination
y Google
CONCLUSION 149
simple, presque invariable, inconsciente, bien
qu'elle ait dû, dans le lointain des siècles, être
accompagnée d'un rudiment de conscience qui
s'en est retirée, à mesure que la coordination,
devenant plus parfaite, s'est organisée' dans
l'espèce.
Sur cette base s'appuie l'activité consciente et
individuelle des appétits, désirs, sentiments,
passions, à coordination plus complexe et beau-
coup moins stable.
Plus haut, l'activité idéo-motrice, qui, dans
ses manifestations extrêmes, atteint une coor-
dination à la fois très ferme et très complexe,
c'est la volition complète.
On peut donc dire qu'elle a pour condition
fondamentale une coordination hiérarchique,
c'est-à-dire qu'il ne suffit pas que des réflexes
soient coordonnés avec des réflexes, des désirs
avec des désirs, des tendances rationnelles avec
des tendances rationnelles ; mais qu'une coordina-
tion entre ces différents groupes est nécessaire,
— une coordination avec subordination, telle
que tout converge vers un point unique : le but
à atteindre. Que le lecteur se rappelle les cas
morbides précédemment étudiés, en particulier
les impulsions irrésistibles qui, à elles seules,
représentent la pathologie de la volonté presque
entière, il reconnaîtra que toutes se réduisent
à cette formule : absence de coordination hiérar-
y Google
150 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
chique, action indépendante, irrégulière, isolée,
anarchique.
Si donc nous considérons la volonté soit dans
ses éléments constituants, soit dans les phases
successives de sa genèse (et les deux aspects
sont inséparables), nous voyons que la volition,
son résultat dernier, n'est pas un événement
survenant on ne sait d'où, mais qu'elle plonge
ses racines au plus profond de l'individu et, au
delà de l'individu, dans l'espèce et les espèces.
Elle ne vient pas d'en haut, mais d'en bas; elle
est une sublimation des éléments inférieurs. Je
comparerais la volition, une fois affirmée, à ce
que l'on appelle en architecture une clef de
voûte. A cette pierre, la voûte doit plus que sa
solidité, — son existence; mais cette pierre ne
tire sa puissance que des autres qui la soutien-
nent et l'enserrent, comme à son tour elle les
presse et les affermit.
Ces préliminaires bien abrégés étaient indis-
pensables pour comprendre la loi qui régit la
dissolution de la volonté ; car, si les considéra-
tions qui précèdent sont justes, comme la dis-
solution suit toujours l'ordre inverse de l'évolu-
tion, il s'ensuit que les manifestations volontai-
res les plus complexes doivent disparaître avant
lespluâ simples, les plus simples avant l'automa-
tisme. Pour donner à l'énoncé de la loi sa forme
exacte, en traitant la volition non comme un
y Google
CONCLUSION 151
événement singulier, mais comme la manifes-
tation la plus haute de l'activité, nous dirons :.
La dissolution suit une marche régressive]
du plus volontaire et du plus complexe au I
moins volontaire et au plus simple, c'est-à-J
dire à V automatisme . '
Il s'agit maintenant de montrer que cette loi
est vérifiée par les faits. Nous n'avons qu'à
choisir.
En 1868, Hughlings Jackson, étudiant cer-
tains désordres du système nerveux, fit remar-
quer, le premier, je crois, ce que les mouve-
ments et facultés les plus volontaires et les plus
spéciaux sont atteints tout d'abord et plus que
les autres *. • Ce « principe de dissolution » ou
« de réduction à un état plus automatique » fut
posé par lui comme le corrélatif des doctrines de
Herbert Spencer sur l'évolution du système ner-
veux. Il prend un cas des plus simples, l'hémi-
plégie commune par lésion du corps strié. Un
caillot sanguin a fait pour nous une expérience.
Nous voyons que le patient, dont la face, la lan-
gue, le bras et la jambe sont paralysés, a* perdu
les mouvements les plus volontaires d'une par-
tie de son corps, sans perdre les mouvements les
plus automatiques. « L'étude des cas d'hémi-
plégie nous montre en effet que les parties
1. Clinical and physiological Researches on the nervous Sys-
tem, London, in-8°, 1875.
y Google
452 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
externes qui souffrent le plus sont celles qui,
psychologiquement parlant, sont le plus sous
le commandement de la volonté, et qui, phy-
siologiquement parlant , impliquent le plus
grand nombre de mouvements différents, pro-
duits avec le plus grand nombre d'intervalles
différents, » au lieu d'être simultanés comme les
mouvements automatiques. Si la lésion est plus
grave et si elle atteint non seulement les parties
les plus volontaires du corps (face, bras, jambe),
mais celles qui sont moins volontaires (perte de
certains mouvements des yeux et de la tête et
d'un côté de la poitrine), on trouve que les par-
ties les plus volontaires sont beaucoup plus
paralysées que les autres.
Ferrier fait remarquer * de même que la des-
truction générale de la région motrice, dans
l'écorce du cerveau, comme celle du corps strié,
produit « les mêmes troubles relatifs des diffé-
rents mouvements , ceux-là étant le plus affectés
çt paralysés qui sont le plus sous l'influence de
la volonté, du moins après que le premier choc
est passé. La paralysie faciale réside surtout
dans la région faciale inférieure, portant sur les
mouvements les plus indépendants, le frontal et
les muscles orbiculaires n'étant que légère-
ment atteints. Les mouvements de la jambe
1. Ferrier, De la localisation des maladies cérébrales, trad. fr.,
p. 142.
yGoogk
CONCLUSION 153
sont moins affectés que ceux du bras, ceux du
bras moins que ceux de la main. »
Le même auteur établissant une distinction
entre les différentes sortes de mouvements et
leurs centres respectifs, « ceux qui impliquent la
conscience et que nous appelons volontaires au
sens strict du mot » (les centres corticaux su-
périeurs) et ceux « qui sont décrits comme auto-
matiques, instinctifs, responsifs, y compris les
adaptations motrices de l'équilibre et de la coor-
dination motrice, l'expression instinctive des
émotions, et qui sont organisés d'une manière
plus ou moins complète dans les centres sous-
jacents à Técorce, » constate que ces derniers
ont une indépendance relative qui est au maxi-
mum chez les vertébrés inférieurs (grenouille,
pigeon), au minimum chez le singe et l'homme.
« J'osai prédire, ajoute-t-il, que, chez les ani-
maux dont les facultés motrices ne semblaient
pas beaucoup souffrir d'une lésion destructive
des centres nerveux, ces mouvements-là de-
vaient être paralysés qui impliquent la con-
science (mouvements volontaires) et n'étaient
pas automatiquement organisés. C'est ce qu'ont
amplement confirmé les recherches de Goltz.
Il a montré que, bien que la patte du chien ne
soit pas définitivement paralysée en tant que
organe de locomotion , par une lésion de
Técorce, elle Test, en tant que servant de
9.
y Google
154 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
main et employée comme telle 4 . Cette der-
nière expérience est pour nous du plus grand
intérêt : elle nous montre que, dans un même
organe, adapté à 4a fois à la locomotion et à la
préhension, Tune persiste, bien que altérée,
quand l'autre, la plus délicate, a disparu.
L'instabilité de l'action volontaire, complexe,
supérieure (c'est tout un) par rapport à l'action
automatique, simple, inférieure, se montre
encore sous une forme progressive dans la pa-
ralysie générale des aliénés. « Les premières im-
perfections de la motilité, dit Foville, celles qui
se traduisent par un défaut à peine commen-
çant dans l'harmonie des contractions muscu-
laires, sont d'autant plus appréciables qu'elles
intéressent des mouvements plus délicats, qui
exigent une précision et une perfection plus
grandes dans leur accomplissement. Il n'est
donc pas étonnant qu'elles se traduisent à! abord
dans les opérations musculaires si délicates qui
concourent à la phonation. » On sait que l'em-
1. Ferrier, p. 36, 37. Dans l'expérience de Goltz, si la lésion est
faite au cerveau gauche, dans tout mouvement où le chien a
coutume de se servir de la patte antérieure en guise de main,
il néglige l'usage de la patte droite. C'est ainsi qu'il tiendra un
os uniquement avec la patte antérieure gauche ; c'est cette patte
seulement qu'il emploiera pour fouiller le sol ou atteindre sa
blessure. Si l'on a dressé l'animal à donner la patte au comman-
dement, après la mutilation, il ne donnera plus que la patte
gauche, tandis qu'il tiendra sa patte droite comme rivée au sol.
(Goltz, ap. Dict. encycl. des sciences médicales, art. Nerveux,
p. 588.)
yGoogk
CONCLUSION 155
barras de la parole est un des premiers symp-
tômes de cette maladie. Si faible, au début,
qu'une oreille exercée est seule capable de le
saisir, le trouble de la prononciation augmente
progressivement et aboutit à un bredouillement
inintelligible :
« Les muscles qui contribuent à l'articulation
ont perdu toute leur harmonie d'action ; ils ne
peuvent plus se contracter qu'avec effort; la
parole est devenue méconnaissable.
« Dans les membres, les lésions de la motilité
n'affectent d'abord que les mouvements qui
comportent le plus de minutie et de précision.
Le malade peut faire de grandes marches et se
servir de ses bras, pour des travaux qui n'exi-
gent que des mouvements d'ensemble; mais iJ
ne peut plus exécuter de petites opérations déli-
cates des doigts, sans trembler un peu, et sans s'y
reprendre à plusieurs fois : on s'en aperçoit sur-
tout si on lui dit de ramasser une épingle à terre,
de remonter sa montre, etc. Les artisans habi-
tués, par leur métier, à des travaux de précision,
sont hors d'état de s'occuper, bien avant ceux
qui n'ont que des tâches grossières à remplir. —
Lorsqu'il s'agit d'écrire, la plume est tenue avec
une indécision qui se traduit par une irrégula-
fité plus ou moins prononcée des caractères tra-
cés. Plus la maladie avance dans sa marche,
plus l'écriture devient tremblante et défigurée ;
y Google
156 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
de sorte que, en comparant une série de lettres
écrites à des époques différentes, on peut suivre
les progrès successifs de l'affection, jusqu'à ce
que le malade soit devenu incapable d'écrire.
« Plus tard, l'indécision des membres supé-
rieurs existe même dans les mouvements d'en-
semble : le tremblement, l'affaiblissement em-
pêchent le malade de porter directement ses
aliments à sa bouche, de tirer son mouchoir,
de le remettre dans sa poche, etc.
« Dans les membres inférieurs, la progression
est analogue : au début, les aliénés paralytiques
marchent avec vigueur, allant droit devant eiix;
mais, s'il s'agit d'aller à droite ou à gauche et
surtout de pivoter sur eux-mêmes pour revenir
sur leur pas, l'hésitation et le défaut de précision
se laissent apercevoir. Puis, même en marchant
devant eux, ils avancent d'un pas pesant, mal
coordonné. Plus tard enfin, ils ont peine à faire
quelques pas 1 . »
Rappelons encore les troubles de la motilité
qui succèdent à l'abus de l'alcool. Le tremble-
ment est un des phénomènes les plus précoces,
a Les mains sont les premières parties affectées,
puis les bras, les jambes, la langue et les lèvres.
A mesure qu'il s'accroît, le tremblement se
complique en général d'un autre désordre plus
1. Foville, Dictionnaire de médecine, etc., art. Paralysie générale,
p. 97-99.
y Google
CONCLUSION 157
grave, l'affaiblissement musculaire. Il affecte
d'abord les membres supérieurs; c'est là un
caractère presque constant. Les doigts devien-
nent inhabiles, maladroits; la main serre mal
les objets et les laisse échapper. Puis cette fai-
blesse gagne l'avant-bras et le bras; le malade
ne peut alors se servir de ses membres supé-
rieurs que d'une manière très incomplète; il en
arrive à ne plus pouvoir manger seul. Plus tard,
ces phénomènes s'étendent aux membres infé-
rieurs; la station devient difficile; la marche
est incertaine, titubante; puis tout cela va crois-
sant. Les muscles du dos se prennent à leur
tour et le malheureux paralytique est con-
damné à garder le lit *. »
Nous pourrions rapporter encore ce qui se
passe dans les convulsions, la chorée, etc. Cette
marche, qui n'a pour le médecin qu'un intérêt
clinique, a pour nous un intérêt psychologique.
Ces faits, d'expérience journalière, suffiront, je
l'espère, à produire la conviction, à montrer
que la loi de dissolution suit bien une marche
du complexe au simple, du volontaire à l'auto-
matique, que le dernier terme de l'évolution est
le premier de la dissolution. Nous iï'avons étudié
jusqu'ici, il est vrai, qu'une désorganisation des
mouvements; mais ceux qui traitent lapsycho-
1. Fourrier, iàid. 9 art. Alcoolisme, p. 636,637.
yGoogk
158 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
logie en scienee naturelle n'y trouveront rien à
redire. Comme la volition n'est pas pour nous
une entité impérative, régnant dans un monde
à part et distincte de ses actes, mais bien l'ex-
pression dernière d'une coordination hiérar-
chique, et comme chaque mouvement ou
groupe de mouvements est représenté dans les
centres nerveux, il est clair que, avec chaque
groupe paralysé, un élément de la coordination
disparaît. Si la dissolution est progressive, la
coordination sans cesse appauvrie de quelque
élément ira toujours en se resserrant ; et, comme
l'expérience montre que la disparition des mou-
vements est en raison directe de leur complexité
et de leur délicatesse, notre thèse est vérifiée.
Nous pouvons d'ailleurs poursuivre cette véri-
fication de notre loi, en rappelant ce qui se
passe dans les maladies du langage, et ici nous
pénétrons dans le mécanisme intime de l'esprit.
Je ne reviendrai pas sur un sujet que j'ai lon-
guement traité 4 . J'ai essayé de montrer que
beaucoup de cas d'aphasie résultent d'une
amnésie motrice, c'est-à-dire d'un oubli des
éléments moteurs, de ces mouvements qui con-
stituent le langage articulé. Je rappellerai que
Trousseau avait déjà remarqué que « l'aphasie
est toujours réductible à une perte de la mé-
1. Voir les Maladies de la Mémoire, p. 149 et suivantes.
y Google
CONCLUSION 159
moire soit des signes vocaux, soit des moyens
par lesquels les mots sont articulés; que W. Ogle
distingue aussi deux mémoires verbales : une
première, reconnue de tout le monde, grâce à
laquelle nous avons conscience du mot, et en
outre une seconde, grâce à laquelle nous l'expri-
mons. » Cet oubli des mouvements, bien qu'il
soit aVant tout une maladie de la mémoire, nous
révèle aussi un affaiblissement du pouvoir mo-
teur, un désordre de la coordination volontaire.
Le malade veut s'exprimer; sa volition n'aboutit
pas ou se traduit incomplètement, c'est-à-dire
que la somme des tendances coordonnées qui,
au moment actuel, constituent l'individu en
tant qu'il veut s'exprimer, est partiellement
entravée dans son passage à l'acte; et l'expé-
rience nous apprend que cette impuissance
d'expression atteint d'abord les mots, c'est-à-
dire le langage rationnel; ensuite les phrases
exclamatives,les interjections, ce que Max Mûller
désigne sous le nom de langage émotionnel;
enfin, dans des cas très rares, les gestes. La
dissolution va donc encore ici du plus complexe
au moins complexe et au simple, du volontaire
au demi-volontaire et à l'automatique, qui est
presque toujours respecté.
Il est permis d'entrer encore plus avant dans
la vie purement psychique; mais ici tout de-
vient vague et flottant. Gomme nous ne pou-
y Google
160 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
vons plus rattacher chaque volition à un groupe
de mouvements des organes vocaux, locomo-
teurs ou préhensiles, nous tâtonnons. Cepen-
dant il est impossible de ne pas remarquer que
la forme la plus haute de la volition, l'attention
volontaire, est, entra toutes, la plus rare et la
plus instable. Si, au lieu de considérer l'atten-
tion volontaire 4 à la façon du psychologue inté-
rieur qui s'étudie lui-même et s'en tient là,
nous la considérons dans la masse des êtres
humains sains et adultes, pour déterminer par
à peu près quelle place elle tient dans leur vie
mentale, nous verrons combien peu de fois elle
se produit et pour quelle courte durée. Si Ton
pouvait, dans l'humanité prise en bloc, pendant
une période de temps donnée, comparer la
somme des actes produits par l'attention volon-
taire et la somme des actes produits sans elle,
le rapport serait presque de zéro à l'infini. En
raison même de sa supériorité de nature et de
son extrême complexité, c'est un état, une
coordination 2 qui peut rarement naître et qui
à peine née est toujours en voie de dissolution.
1. 11 ne s'agit pas, bien entendu, de l'attention involontaire,
qui est naturelle, spontanée; nous nous sommes d'ailleurs
précédemment expliqué sur ee point (voy. p. 101 et suiv.).
2. De même que des groupes de mouvements simples doivent
être organisés et coordonnés pour permettre cette coordination
supérieure d'où naissent les mouvements délicats et complexes,
de même des groupes d'états de conscience simples doivent être
organisés, associés et coordonnés pour permettre cette coordina-
tion supérieure, qui est l'attention.
y Google
CONCLUSION 161
Pour nous en tenir aux faits positifs, n'est-il
pas bien connu que l'impossibilité d'une atten-
tion soutenue est l'un des premiers symptômes de
tout affaiblissement de l'esprit, soit temporaire,
comme dans la fièvre, soit permanent, comme
dans la folie? La forme de coordination la plus
haute est donc bien la plus instable, même dans
l'ordre purement psychologique.
Cette loi de dissolution, qu'est- elle d'ailleurs,
sinon un cas de cette grande loi biologique déjà
signalée à propos de la mémoire : les fonctions
nées les dernières sont les premières à dégé-
nérer. Dans l'individu, la coordination automa-
tique précède la coordination née des désirs et
des passions, qui précède elle-même la coordi-
nation volontaire, dont les formes les plus sim-
ples précèdent les plus complexes. Dans le déve-
loppement des espèces (si Ton admet la théorie
de l'évolution), pendant des siècles, les formes
inférieures de l'activité existèrent seules*; puis,
avec la complexité croissante des coordinations,
un temps vint où la volonté fut. Le retour au
règne des impulsions, de quelques brillantes
qualités d'esprit qu'il s'accompagne, est donc
en lui-même une régression. A cet égard, le
passage suivant de Herbert Spencer nous servira
de résumé et de conclusion sur ce point : oc Chez
les personnes affectées de troubles nerveux chro-
niques, dont le sang détérioré et tarissant ne
yGoogk
162 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
suffit plus à entretenir l'activité nécessaire des
transformations moléculaires... l'irascibilité est
pour tout le monde un objet de remarque : et
l'irascibilité implique une inactivité relative des
•éléments supérieurs. Elle se produit, quand une
décharge soudaine transmise, par une souffrance
ou une contrariété, aux plexus qui ajustent la
conduite à des actions pénibles ou désagréables,
n'est pas accompagnée par une décharge qui
parvienne à ces plexus où l'action est adaptée à
un grand nombre de circonstances, au lieu de
l'être à une seule. Que l'insuffisante production
de l'afflux nerveux rende compte de la perte de
l'équilibre dans les émotions, c'est un corollaire
de ce qui a été déjà dit. Les plexus qui coordon-
nent les activités défensives et destructives, et
dans lesquels ont leur siège les sentiments si-
multanés d'antagonisme et de colère, sont un
héritage de toutes les races d'êtres antérieurs
et sont par conséquent bien organisés, — si
bien organisés que l'enfant sur les bras de sa
mère nous les montre déjà en action. Mais les
plexus qui, en liant et en coordonnant une
grande variété de plexus inférieurs, adaptent
la conduite à une grande variété d'exigences
extérieures, n'ont été développés que depuis
peu; si bien que, outre qu'ils sont étendus et
complexes, ils sont formés de canaux beaucoup
moins perméables. Par conséquent, quand le
y Google
CONCLUSION 163
système nerveux n'est pas à l'état de plénitude,
ces appareils venus les derniers, et les plus élevés
de tous, sont les premiers dont l'activité fasse
défaut. Au lieu d'entrer en action instantané-
ment, leurs effets, s'ils sont appréciables, arri-
vent trop tard pour lutter contre ceux des ap-
pareils subordonnés \ »
II
Après avoir suivi pas à pas la dissolution de
la volonté, le résultat fondamental qui nous a
paru en ressortir, c'est qu'elle est en coordina-
tion variable en complexité et en degrés; que
cette coordination est la condition d'existence de
toute volition, et que, selon qu'elle est totale-
meut ou partiellement détruite, la volition est
anéantie ou mutilée. C'est sur ce résultat que
nous voudrions maintenant insister, en nous
bornant à de brèves indications sur quelques
points, notre but n'étant pas d'écrire une mono-
graphie de la volonté.
I. Examinons d'abord les conditions maté-
rielles de cette coordination. La volonté, qui,
chez quelques privilégiés, atteint une puissance
si extraordinaire et fait de si grandes choses, a
une origine très humble. Elle se trouve dans
cette propriété biologique inhérente à toute
1. Herbert Spencer, Principes de psychologie, tome I, p. 262.
y Google
164 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
matière vivante et qu'on nomme l'irritabilité,
c'est-à-dire la réaction contre les forces exté-
rieures. L'irritabilité — forme physiologique de
loi d'inertie — est en quelque sorte un état
d'indifférenciation primordiale d'où sortiront,
par une différenciation ultérieure, la sensibilité
proprement dite et la motilité, ces deux grandes
bases de la vie psychique.
Rappelons que la motilité (qui seule nous
intéresse ici) se manifeste, même dans \e règne
végétal, sous des formes diverses : par les mou-
vements de certaines spores, de la sensitive, de
la dionée et beaucoup d'autres plantes auxquels
Darwin a consacré un ouvrage très connu. —
La masse protoplasmatique, d'apparence homo-
gène, qui compose à elle seule certains êtres
rudimentaires, est douée de motilité. L'amibe,
le globule blanc du sang, à l'aide des expansions
qu'ils émettent, cheminent peu à peu. Ces faits,
qu'on trouvera décrits avec abondance dans les
ouvrages spéciaux, nous montrent que la moti-
lité apparaît bien avant les muscles et le sys-
tème nerveux, si rudimentaires qu'ils soient.
Nous n'avons pas à suivre l'évolution de ces
deux appareils de perfectionnement à travers la
série animale. Notons seulement que les tra-
vaux sur la localisation des centres moteurs, si
importants pour le mécanisme de la volonté,
ont conduit quelques savants à étudier l'état de
y Google
CONCLUSION 165
ces centres chez les nouveau-nés. « Cette re-
cherche, faite avec grand soin par Soltmann,
en 1875, a fourni les résultats suivants : Chez
les lapins et les chiens, il n'existe, aussitôt après
la naissance, aucun point de l'écorce cérébrale
dont l'irritation électrique soit capable de dé-
terminer des mouvements. C est seulement au
dixième jour que se développent les centres des
membres antérieurs. Au treizième jour appa-
raissent les centres des membres postérieurs.
Au seizième, ces centres sont déjà bien distincts
entre eux et de ceux de la face. Une conclu-
sion à tirer de ces résultats, c'est que l'absence
de direction motrice volontaire coïncide avec
l'absence des organes appropriés et que, à me-
sure que Tanimal devient plus maître de ses
mouvements, les centres cérébraux dans les-
quels se fait l'élaboration volontaire acquièrent
une indépendance plus manifeste *. »
Flechsig et Parrot ont étudié le développe-
ment de l'encéphale chez le fœtus et l'enfant.
Il résulte des recherches de ce dernier 2 que, si
l'on suit le développement de la substance
blanche d'un hémisphère tout entier, on la voit
s'élever successivement du pédoncule à la cou-
che optique, puis à la capsule interne, au centre
1. Dictionnaire encycl. des sciences médicales, François-Franck,
art. Nerveux, p. 585.
2. Archives de physiologie, 1879, p. 505-520.
y Google
166 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
hémisphérique et finalement atteindre le man-
teau cérébral. Les parties dont le développe-
ment est le plus lent ont aussi la destination
fonctionnelle la plus haute.
La période de formation terminée, le méca-
nisme de l'action volontaire paraît constitué
comme il suit : l'incitation part des régions
dites motrices de la couche corticale (région
pariéto-frontale), suit le faisceau pyramidal,
nommé volontaire par quelques auteurs. Ce
faisceau, qui consiste dans le groupement de
toutes les fibres partant des circonvolutions
motrices, descend à travers le centre ovale,
forme une petite partie de la capsule interne,
qui, on le sait, pénètre dans le corps strié
« comme un coin dans un morceau de bois ».
Ce faisceau suit le pédoncule cérébral et le
bulbe, où il subit une décussation plus ou
moins complète, et passe du côté opposé de la
moelle épinière, constituant ainsi une grande
commissure entre les circonvolutions motrices
et la substance grise de la moelle, d'où sortent
les nerfs moteurs 4 . Cette grossière esquisse
donne quelque idée de la complexité des élé-
ments requis pour Faction volontaire et de la
solidarité intime qui les relie.
\. Huguenin, Anatomie des centres nerveux, trad. Keller. —
Brissaud, De la contracture permanente des hémiplégiques, 1880,
p. 9 et suiv.
y Google
CONCLUSION 167
11 y a, malheureusement, des divergences
d'interprétation sur la nature réelle des centres
cérébraux d'où part l'incitation. Pour Ferrier et
beaucoup d'autres, ce sont des centres moteurs,
au sens strict, c'est-à-dire qu'en eux et par eux
le mouvement commence. Schiff, Hitzig et
Nothnagel, Gharlton Bastian, M'unk ont donné
d'autres interprétations qui ne sont ni égale-
ment probables ni également claires. Elles se
réduisent pourtant, en gros, à considérer ces
centres comme étant plutôt de « nature sensi-
tive » , le rôle moteur proprement dit restant
dévolu au corps strié. « Les fibres nerveuses qui
descendent de l'écorce corticale au corps strié,
chez les animaux supérieurs et chez l'homme,
seraient par leur nature strictement compara-
bles aux fibres unissant la cellule « sensitive »
et la cellule « motrice » dans un mécanisme or-
dinaire d'action réflexe *. » En d'autres termes,
il existerait dans l'écorce cérébrale « des régions
circonscrites dont l'excitation expérimentale
produit dans le côté opposé du corps des mou-
vements déterminés, localisés. Ces points sem-
blent bien plutôt devoir être considérés comme
des centres d'association volontaire que
comme des centres moteurs proprement dits.
Ils seraient % le siège d'incitations aux mouve-
1. Charlton Bastian, Le cerveau, organe de la pensée, tome II,
p. 198.
y Google
168 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
ments volontaires et non les points de départ
véritables du mouvement. On pourrait plutôt
les assimiler aux organes sensibles périphéri-
ques qu'aux appareils moteurs des cornes anté-
rieures de la moelle... Ces centres seraient donc
psycho-moteurs, parce qu'ils commandent par
leur action toute psychique à de véritables
appareils moteurs Nous pensons que le$
différents points indiqués comme centres mo-
teurs des membres, de la face, etc., correspon-
dent aux appareils qui reçoivent et transforment
en incitation volontaire les sensations d'ori-
gine périphérique. Ce serait des centres volitifs
et non de véritables centres moteurs *. »
Malgré cette question pendante, dont la so-
lution intéresse la psychologie au moins autant
que la physiologie, malgré les dissentiments de
détail que nous avons négligés, notamment les
incertitudes sur le rôle du cervelet, on peut dire
avec Charlton Bastian que, si depuis le temps
de Hume nous n'avons pas encore appris, dans
le sens complet du terme, les moyens par les-
quels les mouvements de notre corps suivent
les commandements de notre volonté, nous
avons du moins appris quelque chose sur les
parties principalement intéressées et par con-
séquent sur la route que suivent les excitations
volontaires.
i. François Franck, loc. cit., p. 577, 578.
y Google
CONCLUSION 469
IL En examinant la question par son côté
psychologique, la coordination volontaire revêt
tant de formes et est susceptible de tant de
degrés, qu'il faut se borner à en noter les prin-
cipales étapes. 11 serait naturel de commencer
par le plus bas ; mais je crois utile, pour des
raisons de clarté, de suivre Tordre inverse.
La coordination la plus parfaite est celle des
plus hautes volontés, des grands actifs, quel que
soit Tordre de leur activité : César, ou Michel-
Ange, ou saint Vincent de Paul. Elle se résume
en quelques mots : unité, stabilité, puissance.
L'unité extérieure de leur vie est dans l'unité de
leur but, toujours poursuivi, créant au gré des
circonstances des coordinations et adaptations
nouvelles. Mais cette unité extérieure n'est elle-
même que l'expression d'une unité intérieure,
celle de leur caractère. C'est parce qu'ils restent
les mêmes que leur but reste le même. Leur fond
est une passion puissante, inextinguible, qui met
les idées à son service. Cette passion, c'est eux,
c'est l'expression psychique de leur constitution
telle que la nature Ta faite. Aussi comme tout
ce qui sort de cette coordination reste dans
Tombre, inefficace, stérile, oublié, semblable à
une végétation parasite ! Ils offrent le type d'une
vie toujours d'accord avec elle-même, parce que
chez eux tout conspire, converge et consent.
Même dans la vie ordinaire, ces caractères se
Ri BOT. — Volonté. 10
y Google
470 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
rencontrent, sans faire parler d'eux, parce que
Télévation du but, les circonstances et surtout
la puissance de la passion leur ont manqué; ils
n'en ont gardé que la stabilité. — Sous une autre
forme, les grands stoïciens historiques, Epictète,
Thraséas (je ne parle pas de leur Sage, qui n'est
qu'un idéal abstrait), ont réalisé ce type supé-
rieur de volonté sous sa forme négative, — l'ar-
rêt, — conformément à la maxime de l'Ecole :
Supporte et abstiens-toi.
Au dessous de cette coordination parfaite, il
y a les vies traversées d'intermittence, dont le
centre de gravité, ordinairement stable, oscille
pourtant de temps en temps. Un groupe de ten-
dances fait une sécession temporaire à action
limitée, exprimant, tant qu'elles existent et
agissent, un côté du caractère. Ni pour eux ni
pour les autres, ces individus n'ont l'unité des
grandes volontés, et plus ces infractions à la
coordination parfaite sont fréquentes et de na-
ture complexe, plus la puissance volontaire
diminue. Dans la réalité, tous ces degrés se
rencontrent.
En descendant toujours, nous arrivons à ces
vies en partie double, dans lesquelles deux ten-
dances contraires ou simplement différentes
l'emportent tour à tour. Il y a dans l'individu
deux centres de gravité alternatifs, deux points
de convergence pour des coordinations succes-
y Google
CONCLUSION 174
sivement prépondérantes, mais partielles . A tout ■
prendre, c'est là peut-être le type le plus com-
mun, si Ton regarde autour de soi et si Ton
consulte les poètes et les moralistes de tous les
temps, répétant à l'envi qu'il y a deux hommes
en nous. Le nombre de ces coordinations suc-
cessives peut être encore plus grand; mais il
serait oiseux de poursuivre cette analyse.
Encore un pas, et nous entrons dans la patho-
logie. Rappelons les impulsions brusques, irré-
sistibles, qui tiennent à chaque instant la vo-
lonté en échec; c'est une tendance hypertro-
phiée qui rompt sans cesse l'équilibre, à qui son
intensité ne permet plus de se coordonner avec
les autres : elle sort des rangs, elle ordonne au
lieu de se subordonner. Puis quand ces impul-
sions ne sont plus un accident mais une habi-
tude, un côté du caractère mais le caractère, il
n'y a plus que des coordinations intermittentes;
c'est la volonté qui devient l'exception.
Plus bas encore, elle devient un simple acci-
dent. Dans la succession indéfinie des impul-
sions qui varient d'une minute à l'autre, une vo-
lition précaire trouve à peine de loin en loin ses
conditions d'existence. 11 n'y a plus que des ca-
prices. Le caractère hystérique nous a fourni le
type de cette incoordination parfaite. Nous
voici donc à l'autre bout.
Au-dessous, il n'y a plus de maladies de la vo-
y Google
172 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
lonté, mais un arrêt de développement qui l'em-
pêche de jamais naître. Tel est l'état des idiots
et des faibles d'esprit. Nous en dirons ici quel-
ques mots, pour compléter notre étude patholo-
gique.
« Dans l'idiotie profonde, dit Griesinger, les
efforts et les déterminations sont toujours ins-
tinctifs; ils sont provoqués surtout par le besoin
de nourriture; le plus souvent, ils ont le carac-
tère d'actions réflexes dont l'individu a à peine
conscience. Certaines idées simples peuvent
encore provoquer des efforts et des mouvements,
par exemple, de jouer avec de petits morceaux
de papier. . . Sans parler de ceux qui sont plongés
dans l'idiotie la plus profonde, on en est à se
demander : Y a-t-il en eux quelque chose qui re-
présente la volonté ? Qu'est-ce qui peut vouloir
en eux?
« Chez beaucoup d'idiots de cette dernière
classe, la seule chose qui paraisse mettre un peu
leur esprit en mouvement, c'est le désir de
manger. Les idiots les plus profonds ne mani-
festent ce besoin que par de l'agitation et des
grognements. Ceux chez qui la dégénérescence
est moins profonde remuent un peu les lèvres
et les mains, ou bien pleurent: c'est ainsi qu'ils
expriment qu'ils veulent manger...
« Dans l'idiotie légère, le fond du caractère
est l'inconstance et l'obtusion du sentiment et la
y Google
.CONCLUSION 173
faiblesse de la volonté. L'humeur de ces indivi-
dus dépend de leur entourage et des traitements
dont ils sont l'objet : dociles et obéissants quand
on en prend soin, méchants et malicieux quand
on les maltraite *. »
Avant d'en finir avec ce sujet, nous ferons
encore remarquer que si la volonté est une coor-
dination, c'est-à-dire une somme de rapports,
on peut prédire à priori qu'elle se produira
beaucoup plus rarement que les formes plus
simples d'activité, parce qu'un état complexe a
beaucoup moins de chances de se produire et de
durer qu'un état simple. Ainsi vont les choses
en réalité. Si l'on compte dans chaque vie hu-
maine ce qui doit être inscrit au compte de l'au-
tomatisme, de l'habitude, des passions et sur-
tout de l'imitation, on verra que le nombre des
actes purement volontaires, au sens strict du
mot, est bien petit. Pour la plupart des hommes,
l'imitation suffit; ils se contentent de ce qui a
été de la volonté chez d'autres, et, comme ils-
pensent avec les idées de tout le monde, ils agis-
sent avec la volonté de tout le monde. Prise
entre les habitudes qui la rendent inutiles et les
maladies qui la mutilent ou la détruisent, la vo-
lonté est, ainsi que nous l'avons dit plus haut,
un accident heureux.
1. Griesinger, Traité des maladies mentales, trad. française,
p. «3, 434.
10.
Digitized by VjOOQlC
174 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
Est-il enfin nécessaire de faire remarquer
combien cette coordination à complexité crois-
sante des tendances, qui forme les étages de la
volonté, est semblable à la coordination à com-
plexité croissante des perceptions et des images,
qui constitue les divers degrés de l'intelligence y
Tune ayant pour base et condition fondamentale
le caractère, l'autre pour base et condition fon-
damentale les « formes de la pensée » ; toutes
deux étant une adaptation plus ou moins com-
plète de l'être à son milieu, dans l'ordre de l'ap-
tion ou dans l'ardre de la connaissance ?
Nous sommes maintenant préparés à la con-
clusion générale de ce travail, indiquée déjà plu-
sieurs fois en passant- Elle éclairera, je l'espère,
d'un jour rétrospectif, le chemin parcouru. La
voici :
La volition est un état de conscience final qui
résulte de la coordination plus ou moins com-
plexe d'un groupe d'états , conscients , sub-
conscients ou inconscients (purement physio-
logiqueg), qui tous réunis se traduisent par une
action ou un arrêt. La coordination a pour facteur
principal le caractère qui n'est que l'expression
psychique d'un organisme individuel. C'est le
caractère qui donne à la coordination son unité,
— non l'unité abstraite d'un point mathémati-
que, mais l'unité concrète d'un consensus. L'acte
y Google
CONCLUSION 175-
par lequel cette coordination se fait et s'affirme
est le choix, fondé sur une affinité de nature.
La volition que les psychologues intérieurs
ont si souvent observée, analysée, commentée^
n'est donc pour nous qu'un simple état de cons-
cience. Elle n'est qu'un effet de ce travail psy-
chophysiologique, tant de fois décrit, dont une
partie seulement entre dans la conscience sous
la forme d'une délibération. De plus, elle n'est
la cause de rien. Les actes et mouvements
qui la suivent résultent directement des ten-
dances, sentiments, images et idées qui ont
abouti à se coordonner sous la forme d'un choix.
C'est de ce groupe que vient toute l'efficacité. En
d'autres termes, — et pour ne laisser aucune
équivoque, — le travail psychophysiologique de
la délibération aboutit d'une part à un état de
conscience, la volition, d'autre part à un ensem-
ble de mouvements ou d'arrêts. Le «je veux »
constate une situation, mais ne la constitue
pas. Je le comparerais au verdict d'un jury qui
peut être le résultat d'une instruction criminelle
très longue, de débats très passionnés, qui sera
suivi de conséquences graves s'étendant sur un
long avenir, mais qui est un effet sans être
une cause, n'étant en droit qu'une simple
constatation.
Si l'on s'obstine à faire de la volonté une fa-
culté, une entité, tout devient obscurité, embar-
y Google
176 LES MALADIES DE LA VOLONTÉ
ras, contradiction. On est pris au piège d'une
question mal posée. Si Ton accepte au contraire
les faits comme ils sont, on se débarrasse au
moins des difficultés factices. On n'a pas à se de-
mander, après Hume et tant d'autres, comment
un ce je veux » peut faire mouvoir mes membres.
C'est un mystère qu'il n'y a pas lieu d'éclaircir,
puisqu'il n'existe pas, puisque la volition n'est
cause à aucun degré. C'est dans la tendance na-
turelle des sentiments et des images à se tra-
duire en mouvements que le secret des actes
produits doit être cherché. Nous n'avons ici
qu'un cas extrêmement compliqué de la loi des
réflexes, dans lequel entre la période dite d'ex-
citation et la période motrice apparaît un fait
psychique capital — la volition — montrant que
la première période finit et que la seconde com-
mence.
Qu'on remarque aussi comment cette maladie
bizarre qu'on nomme l'aboulie s'explique main-
tenant sans difficulté, et avec elle les formes ana-
logues étudiées plus haut *, et même cette sim-
ple faiblesse de la volonté à peine morbide, si
fréquente pourtant chez les gens qui disent vou-
loir et n'agissent pas. C'est que l'organisme indi-
viduel, source d'où tout sort, avait deux effets à
produire et n'en produit qu'un : l'état de con-
i. Voir chapitre I«.
y Google
CONCLUSION 177
science, le choix, l'affirmation; mais les tendan-
ces motrices sont trop faibles pour se traduire,
en actes. Il y a coordination suffisante et impul-
sion insuffisante. Dans les actes irrésistibles au
contraire, c'est l'impulsion qui s'exagère et la
coordination qui s'affaiblit ou disparaît. \
Nous devons ainsi à la pathologie deux résul-
tats principaux : — l'un que le «c je veux » est
en lui-même dénué de toute efficacité pour faire
agir; — l'autre que la volonté chez l'homme
raisonnable est une coordination extrêmement
complexe et instable, fragile par sa supériorité
même, parce qu'elle est <c la force de l'ordre le
plus élevé que la nature ait encore produite,
la dernière efflorescence consommée de toutes
ses œuvres merveilleuses 1 » .
1. Maudsley, Physiologie de C esprit, trad. Herzen, p. 429.
FIN
yGoogk
yGoogk
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
Position de la question. — De la volonté comme pouvoir
d'impulsion. — De la volonté comme pouvoir d'arrêt. —
Rôle du caractère individuel. — Du choix : sa nature . . 1
CHAPITRE PREMIER
Les affaiblissements de la volonté. I. Le défaut d'impulsion
Division des maladies de la volonté. — De l'aboulie ou im-
puissance de vouloir : exemple de Th. de Quincey. —
Cas rapportés par Billod. — Cause probable de cet état. —
Etats analogues : agoraphobie; folie du doute; cas qui
confinent à l'anéantissement. — Impuissance de l'effort :
du sentiment de l'effort. Ses deux formes. — Où en est *
la source? 35
CHAPITRE II
Les affaiblissements de la volonté. IL L'excès d'impulsion
Les impulsions subites et inconscientes. — Les impulsions
irrésistibles avec conscience. — Transition insensible de
Tétat sain à l'état morbide : les idées fixes, — Disloca-
tion de la volonté. — Ses causes probables. — Les
affaiblissements par intoxication, par lésion cérébrale. . . 71
yGoogk
180 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE III
Les affaiblissements de l'attention volontaire
Puissance intellectuelle et impuissance volontaire. — Co-
leridge : son portrait par Carlyle. — Deux formes d'affai-
blissement. — Nature de l'attention. Elle a sa source dans
les sentiments. — Gomment elle se maintient 9$
CHAPITRE IV
Le règne des caprices
Impuissance de la volonté à se constituer : absence de ses
conditions d'existence. — Le caractère hystérique. — D'où
vient l'instabilité. — Les « paralysies psychiques ». . . . 4 11
CHAPITRE V
L'anéantissement de la volonté
Deux états d'anéantissement. — L'extase. Sa description
par sainte Thérèse. — Anomalie de cet état mental. —
Le somnambulisme : cas d'anéantissement absolu. — Cas
douteux. Exemples de résistance. — Illusion du pouvoir
volontaire chez quelques hypnotisés 125
CONCLUSION
La volonté est le dernier terme d'une évolution progres-
sive dont le réflexe simple est le premier. — C'est une
coordination hiérarchique. — Loi de dissolution de la
volonté : sa marche. — Vérification par les faits patholo-
giques. — Conditions matérielles de la coordination vo-
lontaire. Son développement physiologique. Son déve-
loppement psychologique. Formes principales de cette
coordination. — La volonté chez les idiots. — Conclusion
générale : La volition est un simple état de conscience
qui n'a par lui-même aucune efficacité pour produire un
mouvement ou un arrêt 147
Conlommiers. — Typogr. Paul BRODÂRD et O.
y Google
yGoogk
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yGoogk
yGoogk
yGoogk
yGoogk
OONSERVED
HARVARD COLLEGE/
JJBRARV /
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